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La position de la Suisse doit aujourd’hui plus que jamais préoccuper la pensé des hommes publics ; au milieu des embarras où l’Europe se trouve si soudainement jetée, la Suisse devient l’un des points les plus importans que la stratégie politique ait à surveiller : les puissances en conflit semblent appelées à se rencontrer tôt ou tard sur le champ très étroit des questions helvétiques. Le vorort, qui siége à Berne depuis le 1er janvier, a déjà passé par deux difficultés, l’une intérieure, l’autre diplomatique, et nous ne craignons pas de dire qu’il les a résolues toutes deux avec autant de sagesse que de fermeté. Les singuliers conservateurs de Lucerne avaient dénoncé d’avance le futur canton-directeur comme un agent de troubles, comme un instrument de violences ; ils avaient essayé de neutraliser son pouvoir en le menaçant d’une intervention étrangère : le canton de Berne a prouvé déjà qu’il était en mesure de maintenir l’ordre au dedans et de faire respecter au dehors la dignité du corps helvétique.

L’émeute de Fribourg a été une occasion de juger la conduite du vorort dans ses relations fédérales. Certes, le gouvernement de Fribourg avait outrepassé son droit en défendant les assemblées populaires aux protestans du canton, qui réclamaient contre l’obligation d’adhérer au Sonderbund et ne voulaient point marcher sous les ordres de M. Siegwart-Müller. Les assemblées populaires sont, pour ainsi dire, de droit naturel dans toutes les constitutions suisses. Les protestans de Morat, de la Gruyère et d’Estavayer ont donc essayé, comme on a vu, de résister au gouvernement fribourgeois ; celui-ci a aussitôt appelé à son secours la population allemande : les insurgés, mal commandés et mal unis, se sont retirés sans même avoir rencontré l’ennemi ; ç’a été une échauffourée dont tout le profit reste aux maîtres actuels de Fribourg. Comment s’est comporté le canton de Berne, ce même canton qui devait employer son autorité directoriale à organiser les corps francs ? Il atout aussitôt annoncé à Fribourg qu’il échelonnait des troupes sur ses frontières pour empêcher la population de Berne de s’immiscer illégalement dans les affaires de ses voisins ; il a manifesté le regret avec lequel il voyait la paix troublée ; il a engagé les vainqueurs à la modération. Le canton de Genève, plus libre que le canton-directeur dans l’expression de ses sentimens particuliers, a écrit au gouvernement de Fribourg pour soutenir, d’un ton d’ailleurs fort pacifique, la légalité des assemblées populaires de Morat ; il a fort sagement montré que les catholiques fribourgeois devaient user de tolérance avec leurs sujets protestans, s’ils ne voulaient pas aggraver la tache du gouvernement de Genève, sans cesse appliqué, depuis le mois d’octobre, à calmer chez lui l’antagonisme religieux ; enfin il a déclaré que les peuples suisses qui appartenaient à la cause libérale « savaient retenir leurs sympathies, afin de ne pas faire naître de nouveaux prétextes de désunion dans la confédération. »

Nous prenons acte de ces tendances, que nous croyons bonnes ; nous voyons avec plaisir se former ainsi une politique qui pourra peut-être un jour tenir la balance entre les excès du radicalisme vaudois et la tyrannie oppressive de Lucerne ; nous nous réjouissons surtout du calme qui règne à Genève comme à Bâle, après un changement si subit soit dans la direction des affaires, soit dans la composition du gouvernement. Le grand conseil de Genève est encore occupé à discuter la constitution qui doit remplacer celle de 1842. Deux points ressortent jusqu’à présent du rapport et des débats : d’abord le gouvernement provisoire