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et toutes leurs pensées dans la sphère officielle où ils sont appelés à vivre ; que, fière de la grande idée qu’elle représente, elle ait la conscience de sa dignité et de sa force morale en présence de l’Autriche se débattant sous les souvenirs de la Gallicie, de la Prusse à laquelle les longues oscillations de son gouvernement ont enlevé une partie de son importance et de son crédit ; qu’elle fasse enfin comprendre à l’Allemagne que la Russie et la France sont les deux pôles du monde politique, et qu’il n’existe aucune situation intermédiaire, aucune influence sérieuse et durable entre les deux idées qu’elles expriment.

Personne n’ignore qu’un seul motif s’oppose à l’action de la France au-delà du Rhin, qu’une seule cause paralyse sa politique naturelle de patronage auprès des petits gouverne mens constitutionnels. On croit chez les peuples, on affecte de croire dans les cabinets, que nous aspirons à recommencer les courses héroïques de l’empire, et que la conquête de la rive gauche du Rhin et des provinces belgiques est une sorte d’idée fixe pour la France. Ni le cours pacifique imprimé à nos idées, ni la transformation de nos mœurs, ni le mol égoïsme qui nous domine, ne suffisent pour rassurer les scribes condamnés au dur métier d’injurier la France et de louer l’Autriche, de calomnier la liberté constitutionnelle et d’exalter la gloire du despotisme paternel. Pourtant, après la discussion solennelle à laquelle vient d’assister la France, ce métier va devenir impossible à continuer au-delà du Rhin. Tous les orateurs qui y ont pris part au sein de nos deux chambres se sont accordés sur ce point, qu’il fallait avant tout rassurer l’Europe et abdiquer toute pensée attentatoire à l’indépendance des peuples. Le principe des nationalités a été posé d’un commun accord et avec un assentiment unanime comme la base même d’une politique de réparation et de justice. M. de Montalembert, organe de cette grande opinion au sein de la chambre des pairs, voyait la pairie tout entière applaudir à sa parole, et son discours, accepté comme le commentaire même de l’adresse, devenait un grand acte. M. Odilon Barrot se faisait, au nom de la gauche, l’éloquent interprète de la même pensée, il répudiait à jamais toute solidarité avec les espérances conquérantes de 1831 et les imprudentes manifestations de 1840. M. Billault proclamait la nécessité de rassurer les peuples et de venir en aide aux états secondaires, si justement alarmés par l’incorporation de Cracovie ; M. Berryer enveloppait la même pensée des larges plis de sa parole magnifique ; enfin M. le ministre des affaires étrangères acceptait hautement pour la France le fécond patronage que l’accord de tous les partis lui défère.

Il appartenait à l’opinion conservatrice, au début d’une législature nouvelle destinée à s’empreindre de son esprit, il appartenait au cabinet devenu l’expression nécessaire de ce grand parti, d’inaugurer cette politique du droit et de répéter après plus d’un demi-siècle d’usurpations