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énormité aux yeux d’un gouvernement qui ne peut contenir les tempêtes sur son propre sol qu’en monopolisant le commerce du monde. Les doctrines de protection auxquelles adhère en France la grande majorité des intérêts sont un obstacle plus sérieux peut-être que les difficultés politiques à toute intimité avec l’Angleterre.

Le reste de l’Europe est, il est vrai, placé, sous ce rapport, vis-à-vis de la Grande-Bretagne, dans une situation peu différente de la nôtre. Les prédications du libre échange n’ont guère plus de succès dans l’Allemagne que dans la France industrielle. Cependant l’Angleterre est, après tout, plus en mesure d’obtenir des concessions commerciales de certaines cours absolutistes que d’un gouvernement constitutionnel, où tous les intérêts représentés parlent si haut et se plaignent si vite ; et si un conflit éclatait jamais dans le monde, le cabinet britannique, dont l’intervention pourrait y devenir décisive, ne manquerait pas assurément, pour prix de son concours et de ses subsides, de stipuler la consécration de ses nouveaux principes d’économie politique. Le libre échange deviendra désormais pour la. Grande-Bretagne ce qu’était pour elle l’abolition de la traite des noirs en 1815, l’annexe obligée de toutes les stipulations diplomatiques consenties par ses ministres. Dans la situation nouvelle de l’Europe, l’Angleterre considère avec raison l’admission à droits réduits de ses cotons ou de ses fers comme une conquête plus importante que celle d’une province. Or, de bons traités de commerce s’obtiendront plus facilement, au jour des grands périls, de la Russie, de l’Autriche, et même du Zollwoerein que de la France, fort résolue à se défendre aussi intrépidement contre les cotonnades que contre les flottes de ses voisins. Il est donc évident que rien n’autorise à prévoir pour l’avenir un rapprochement d’intérêts qui n’existe pas dans le présent, et que la ferme volonté d’éviter la guerre, volonté qui existe heureusement et au même degré chez les deux peuples, ne suffit pas pour constituer une étroite alliance et créer des rapports d’intimité. La paix trouvera, on peut l’espérer, des garanties nouvelles dans cette situation bien comprise : on se ménagera d’autant plus que l’on connaîtra davantage les causes naturelles de désaccord et de collision ; la langue officielle se mettra en harmonie avec les faits, et les mots cesseront de contraster avec les choses.

Que la France comprenne donc sa position véritable et qu’elle sache l’accepter avec résolution et de sang-froid. Elle est séparée des trois cours du Nord par de vives appréhensions et par le souvenir d’une commune résistance. Quant à l’alliance anglaise, en l’acceptant avec empressement toutes les fois qu’elle est possible, la France doit la pratiquer toujours dans la pensée que cette alliance peut soudainement lui échapper, puisqu’une combinaison différente est constamment offerte