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LA DERNIÈRE GUERRE MARITIME.

sion, qui devait se diriger sur notre aile gauche, avait rencontré, comme celle du capitaine Somerville, la marée contraire, et, ne pouvant remonter suffisamment vers l’ouest, elle n’arriva sur le lieu de l’action que pour recueillir les blessés et assister les autres colonnes d’attaque dans leur fuite. Ce combat corps à corps tourna donc entièrement à notre avantage ; il coûta aux Anglais 170 hommes mis hors de combat, et produisit une vive impression de l’autre côté de la Manche. C’était le second échec de ce genre qu’éprouvait Nelson. À Boulogne comme à Ténériffe, il avait rencontré des difficultés imprévues ; mais il avait aussi fait une trop large part au hasard et trop compté sur la négligence de ses ennemis. Cependant, si, à Ténériffe, il n’eût point, par deux tentatives infructueuses, éveillé l’attention des Espagnols ; si, à Boulogne, il n’eût point eu affaire à un homme tel que Latouche-Tréville, il est probable qu’il eût réussi dans cette double attaque : car les Anglais ont, pendant la dernière guerre, obtenu de nombreux succès dans des entreprises analogues, et ils les ont toujours dus à notre défaut de surveillance. Une vigilance soutenue, un service régulier, se rencontrent moins souvent à bord de nos navires que le dévouement le plus exalté et l’intrépidité la plus héroïque. Heureusement Latouche-Tréville gardait sa flottille comme une place forte ; il tenait son monde sans cesse en alerte ; et exigeait que le service se fit devant le port de Boulogne, sur ses bricks et ses canonnières, comme il doit se faire en présence de l’ennemi. Les chaloupes anglaises trouvèrent nos bâtimens préparés à les recevoir, leurs filets d’abordage hissés, leurs canons chargés et leurs équipages sur le pont : aussi leur attaque eut-elle le sort que le courage de nos matelots réservait à de plus formidables entreprises, s’il eût trouvé des chefs tels que Latouche pour le diriger.

Nelson fut douloureusement affecté de ce revers et surtout de la perte du capitaine Parker, qu’il aimait comme un fils, et qui ne survécut point à sa blessure ; mais il songeait à prendre sa revanche et méditait une attaque sur Flessingue. Il fallait à tout prix détruire le prestige de cette flottille, car elle avait jeté le trouble jusque dans les conseils de la couronne. Si le ministère faisait appel aux lumières des hommes spéciaux, il recueillait autant d’avis qu’il consultait d’amiraux. Lord Saint-Vincent voulait qu’on tînt nos ports de la Manche étroitement bloqués ; lord Hood, que l’on conservât toute l’escadre de défense dans les ports anglais et qu’on ne laissât sur la côte de France que quelques bâtimens légers pour signaler les mouvemens de la flottille. En quelques mois, ces bateaux plats, dont on avait voulu rire, étaient devenus l’objet de la préoccupation universelle. Il n’est point jusqu’au général Dumouriez qui ne se crût appelé en cette circonstance à pourvoir au salut de l’Angleterre et de l’Europe. Triste exemple des misères et des égaremens d’une si grande époque ! cet homme qui avait sauvé la France dans les défilés de l’Argonne donnait alors à nos ennemis l’affligeant spectacle