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et qu’elle traversait la foule composée de femmes sans voiles, qui portaient sur la tête le cors ou corne d’argent ciselée et dorée qui balance un voile de gaze derrière leur tête, — autre mode conservée du moyen-âge, — d’hommes fiers et richement armés, dont pourtant le turban rouge ou bariolé indiquait des croyances en dehors de l’islamisme, elle s’écriait : — Que de giaours ! — et cela adoucissait un peu mon ressentiment d’avoir été injurié avec ce mot.

Il s’agissait pourtant de prendre un parti. Les Maronites, nos hôtes, qui aimaient peu ses manières et qui la jugeaient du reste au point de vue de l’intolérance catholique, me disaient : — Vendez-la ! — Ils me proposaient même d’amener un Turc qui ferait l’affaire. On comprend quel cas je faisais de ce conseil peu évangélique.

J’allai voir le père Planchet au couvent des lazaristes, situé presque aux portes de Beyrouth. Il y avait là des classes d’enfans chrétiens, dont il dirigeait l’éducation. — La plupart de ces communautés sont soumises en effet à l’inspection des jésuites. — Nous causâmes long-temps de M. de La martine, qu’il avait connu et dont il admirait beaucoup les poésies. Il se plaignit de la peine qu’il avait à obtenir du gouvernement l’autorisation d’agrandir le couvent. Cependant les constructions interrompues révélaient un plan grandiose, et un escalier magnifique en marbre de Chypre conduisait à des étages encore inachevés. Les couvens catholiques sont très libres dans la montagne, mais aux portes de Beyrouth on ne leur permet pas de constructions trop importantes, — et il était même défendu aux lazaristes d’avoir une cloche. Ils y avaient suppléé par un énorme grelot, — qui, modifié de temps en temps, prenait des airs de cloche peu à peu. Les bâtimens aussi s’agrandissaient presque insensiblement sous l’œil peu vigilant des Turcs.

— Il faut un peu louvoyer ! me disait le père Planchet ; avec de la patience, nous arriverons.

Il me reparla de l’esclave avec une sincère bienveillance. — Toutefois je luttais avec mes propres incertitudes. Les lettres que j’attendais pouvaient arriver d’un jour à l’autre et changer mes résolutions. Je craignais que le père Planchet, se faisant illusion par piété, n’eût en vue principalement l’honneur pour son couvent d’une conversion musulmane, et qu’après tout le sort de la pauvre fille ne devînt fort triste plus tard.

Un matin, elle entra dans ma chambre en frappant des mains et s’écriant tout effrayée : — Durzi ! Durzi. ! bandouguillah (les Druses ! les Druses ! des coups de fusil) !

En effet, la fusillade retentissait au loin ; mais c’était seulement une fantasia d’Albanais qui allaient partir pour la montagne. Je m’informai et j’appris que les Druses avaient brûlé un village appelé Bethmérie, situé à quatre lieues environ. On envoyait des troupes turques non pas