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ont l’air de petits manoirs féodaux bâtis solidement en pierre brune avec des ogives et des arceaux. Des escaliers extérieurs conduisent aux différens étages dont chacun a sa terrasse jusqu’à celle qui domine tout l’édifice, et où les familles se réunissent le soir pour jouir de la vue du golfe. Nos yeux rencontraient partout une verdure épaisse et lustrée, où les haies régulières des nopals marquent seules les divisions. Je m’abandonnai les premiers jours aux délices de cette fraîcheur et de cette ombre. Partout la vie et l’aisance autour de nous ; les femmes bien vêtues, belles et sans voiles, allant et venant, presque toujours avec de lourdes cruches qu’elles vont remplir aux citernes et portent gracieusement sur l’épaule. Notre hôtesse, coiffée d’une sorte de cône drapé en cachemire, qui, avec les tresses garnies de sequins de ses longs cheveux, lui donnait l’air d’une reine d’Assyrie, était tout simplement la femme d’un tailleur qui avait sa boutique au bazar de Beyrouth. Ses deux filles et les petits enfans se tenaient au premier étage ; nous occupions le second.

L’esclave s’était vite familiarisée avec cette famille, et, nonchalamment assise sur les nattes, elle se regardait comme entourée d’inférieurs et se faisait servir, quoi que je pusse faire pour en empêcher ces pauvres gens. Toutefois je trouvais commode de pouvoir la laisser en sûreté dans cette maison lorsque j’allais à la ville. J’attendais des lettres qui n’arrivaient pas, — le service de la poste française se faisant si mal dans ces parages, que les journaux et les paquets sont toujours en arrière de deux mois. Ces circonstances m’attristaient beaucoup et me faisaient faire des rêves sombres. Un matin, je m’éveillais assez tard, encore à moitié plongé dans les illusions du songe. Je vis à mon chevet un prêtre assis, qui me regardait avec une sorte de compassion.

— Comment vous sentez-vous, monsieur ? me dit-il d’un ton mélancolique.

— Mais, assez bien ; pardon, je m’éveille, et…

— Ne bougez pas ! soyez calme. Recueillez-vous. Songez que le moment est proche.

— Quel moment ?

— Cette heure suprême, si terrible pour qui n’est pas en paix avec Dieu !

— Oh ! oh ! qu’est-ce qu’il y a donc ?

— Vous me voyez prêt à recueillir vos volontés dernières.

— Ah ! pour le coup, m’écriai je, cela est trop fort ! Et qui êtes-vous ?

— Je m’appelle le père Planchet.

— Le père Planchet !

— De la compagnie de Jésus.

— Je ne connais pas ces gens-là !

— On est venu me dire au couvent des lazaristes qu’un jeune Américain,