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sombres du Liban, avec leurs croupes de teintes diverses, émaillées çà et là de blanc par les nombreux villages maronites et druses et les couvens étagés sur un horizon de huit lieues ; de l’autre, en retour de cette chaîne au front neigeux qui se termine au cap Boutroun, — tout l’amphithéâtre de Beyrouth, couronné d’un bois de sapins planté par l’émir Fakardin pour arrêter l’invasion des sables du désert. Des tours crénelées de châteaux, des manoirs percés d’ogives, construits en pierre rougeâtre donnent à ce pays un aspect féodal et en même temps européen qui rappelle les miniatures des manuscrits chevaleresques du moyen-âge. Les vaisseaux francs à l’ancre dans la rade et que ne peut contenir le port étroit de Beyrouth animent encore le tableau.

Cette quarantaine de Beyrouth était donc fort supportable, et nos jours se passaient soit à rêver sous les épais ombrages des sycomores et des figuiers, soit à grimper sur un rocher fort pittoresque qui entourait un bassin naturel où la mer venait briser ses flots adoucis. Ce lieu me faisait penser aux grottes rocailleuses des filles de Nérée. Nous y restions tout le milieu du jour, isolés des autres habitans de la quarantaine, couchés sur les algues vertes ou luttant mollement contre la vague écumeuse. La nuit, on nous enfermait dans le pavillon, où les moustiques et autres insectes nous faisaient des loisirs moins doux. Les tuniques fermées à masque de gaze dont j’ai parlé déjà étaient alors d’un grand secours. — Quant à la cuisine, elle consistait simplement en pain et fromage salé, fournis par la cantine ; il y faut ajouter des œufs et des poules apportés par les paysans de la montagne ; en outre, tous les matins, on venait tuer devant la porte des moutons dont la viande nous était vendue à une piastre (25 centimes) la livre. De plus, le vin de Chypre, à une demie-piastre environ la bouteille, nous faisait un régal digne des grandes tables européennes ; j’avouerai pourtant qu’on se lasse de ce vin liquoreux à le boire comme ordinaire, et je préférais le vin d’or du Liban dont le prix est plus élevé, et qui a quelque rapport avec le Madère par son goût sec et par sa force.

Un jour, le capitaine Nicolas vint nous rendre visite avec deux de ses matelots et son mousse. Nous étions redevenus très bons amis, et il avait amené le hadji, qui me serra la main avec une grande effusion, craignant peut-être que je ne me plaignisse de lui, une fois libre et rendu à Beyrouth. Je fus, de mon côté, plein de cordialité. Nous dînâmes ensemble, et le capitaine m’invita à venir demeurer chez lui, si j’allais à Taraboulous. Après le dîner, nous nous promenâmes sur le rivage ; il me prit à part et me fit tourner les yeux vers l’esclave et l’Arménien, qui causaient ensemble assis plus bas que nous au bord de la mer. Quelques mots mêlés de franc et de grec me firent comprendre son idée, — et je la repoussai avec une incrédulité marquée. Il secoua la tête et peu de