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qu’elle n’a pas été instituée précisément pour que ses actions de 1,000 fr. montassent à 3,500[1]. Ce n’est point dans ce but qu’on lui a accordé des privilèges considérables, qu’on lui a délégué une part de la souveraineté, qu’on la protégé par des clauses pénales d’une rigueur exceptionnelle, qu’on remplit gratis ses coffres avec les fonds du trésor. La Banque a une haute mission d’intérêt public sur laquelle ses conseils dirigeans doivent sans cesse avoir les regards fixés, car c’est pour l’accomplissement de cette mission qu’on l’a investie de tant de prérogatives, entourée de tant de protection.

Dans le XIXe siècle, et c’est pour cela que c’est un siècle de progrès, le digne fils du siècle des lumières, toutes les fois qu’on octroie un privilège, c’est pour la satisfaction d’un intérêt public et non pas pour que ceux auxquels on le remet y trouvent l’occasion de profits extrêmes. Que si le privilège devient fructueux pour les mandataires, il faut y applaudir dès que le mandat est fidèlement et loyalement rempli ; mais aussi, toutes les fois que les mandataires sont placés entre l’exécution parfaite du mandat et leur intérêt privé, l’hésitation ne leur est pas permise. L’intérêt privé doit s’effacer ; il n’y a plus de privilège qu’à cette condition. Que ceux qui en voudraient jouir autrement sortent de la lice. Je suis loin de penser et de dire que des notions différentes prévalent dans les conseils et dans le gouvernement de la Banque. Ce gouvernement est institué expressément pour être gardien de l’intérêt public, voilà pourquoi il est à la nomination du roi, et je ne doute pas que les régens, les censeurs, tous les hauts dignitaires élus par les principaux actionnaires, ne soient de même animés de sentimens patriotiques. J’ai pourtant cru devoir rappeler ici le vrai sens, la portée, la destination véritable des faveurs et des privilèges décernés à la Banque, par un motif qui n’a rien de personnel pour les chefs de cette institution.

Il y a dans l’air actuellement je ne sais quelle vapeur qui occasionne la plus étrange confusion d’idées. On fait subir aux principes nu retournement monstrueux. Autrefois il était reconnu que les intérêts privés devaient se subordonner à l’intérêt général, et l’individu, en présence de la société, se soumettait. C’était un axiome politique qui répondait exactement à cet axiome de géométrie, que la partie est plus petite que le tout. En ce moment, l’intérêt privé, par une escalade sacrilège, se superpose de toutes parts à l’intérêt général, et l’individu s’écrie dans’ sa révolte audacieuse L’état, la patrie, le monde, c’est moi. Nous en avons chaque jour des témoignages nouveaux par l’explosion que font, sur les différens points du territoire les prohibitionnistes, et par leurs argumentations à l’effet d’établir que la houille, le fer, l’acier, le blé, la viande, sont faits pour être payés cher dans l’intérêt particulier du

  1. Elles ont atteint, en 1840, 3,800 francs.