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heures, le service de propreté se trouvait invariablement terminé à bord de chaque vaisseau, et, jusqu’au coucher du soleil, il ne se passait rien dans l’escadre qui échappât à l’œil toujours ouvert de son commandant en chef.

La santé de Nelson était cependant assez gravement altérée au moment où il déployait cette merveilleuse activité. Elle subissait l’influence de l’extrême agitation d’esprit qu’il avait éprouvée depuis la conclusion de l’armistice. Chez lui, le trouble de l’ame se trahissait presque toujours par une petite fièvre nerveuse et par des étouffemens qu’il attribuait encore à la poursuite infructueuse de l’armée française en 1798. « Cette campagne m’a brisé le cœur, disait-il souvent, et à chaque émotion nouvelle j’en ressens les effets. » Son irritabilité naturelle empruntait d’ailleurs un nouveau degré d’énergie à l’indifférence avec laquelle le glorieux combat de Copenhague avait été accueilli en Angleterre. Ce brillant épisode d’une campagne aventureuse n’avait point l’éclat des grandes journées de Saint-Vincent et d’Aboukir. Il valut à Nelson le titre de vicomte ; mais la Cité de Londres s’abstint de voter aux vainqueurs les remerciemens qu’elle allait accorder à l’expédition cent fois moins périlleuse qui, partie des côtes de Caramanie sous les ordres de lord Keith, nous obligeait en ce moment même à évacuer l’Égypte.

« J’ai attendu avec la plus grande patience (écrivait Nelson au lord-maire un an après avoir quitté la Baltique) que les moindres services rendus au payss eussent attiré l’attention de la Cité de Londres avant d’exprimer la profonde douleur que j’éprouve en voyant les officiers employés sous mes ordres, des gens qui ont livré la plus sanglante bataille et remporté la plus complète victoire qu’on puisse citer dans cette guerre, privés de l’honneur de recevoir de cette grande cité un témoignage d’approbation que d’autre, plus heureux ont si facilement obtenu… Mais le lord-maire comprendra que, si l’amiral Nelson pouvait oublier les services de ceux qui ont combattu sous ses ordres, il se montrerait peu digne d’être secondé par eux comme il l’a toujours été. »

Malgré ce détour honorable, il y avait peu de dignité à solliciter d’une façon si pressante les suffrages du pays et à vouloir faire violence à son admiration. Disons-le cependant, cette ardeur indiscrète, qui conviendrait mal sans doute à un homme d’état, il la faut excuser peut-être chez un homme de guerre. Elle semble indiquer, il est vrai, plus d’amour de la gloire que de patriotisme, plus de passion que d’élévation véritable ; mais tel est trop souvent de nos jours l’indispensable mobile de l’héroïsme militaire.

Le vice-amiral Pole avait été désigné pour remplacer Nelson dans le commandement de la Baltique. Le 19 juin 1801, il arbora son pavillon à bord du Saint-George, et Nelson, refusant la frégate que son successeur voulait mettre à sa disposition, quitta la baie de Kioge sur un petit