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mieux que le travail des condamnés, de ces vicieux esclaves blancs, et ne met pas ses services au même prix.

On est naturellement conduit à se demander si cette phase sera la dernière transformation politique de l’Océanie centrale. L’Angleterre n’est pas ici, comme dans les Indes, en présence d’une nation asservie, durement exploitée, et de marchands qui viennent faire leur fortune pour aller en jouir ailleurs. C’est une race issue du sang européen qui grandit sur ces rivages. Cet essaim vigoureux que le temps doit encore fortifier se remuera-t-il éternellement dans la sphère de la Grande-Bretagne ? Ne voudra-t-il pas un jour vivre aussi de sa propre vie ? Bien qu’une autre idée ait présidé à leur création, les colonies de la Nouvelle-Hollande ont une singulière analogie avec les anciens établissemens de l’Amérique du Nord. Nous avons vu sur le continent américain un peuple puissant et singulier sortir des émigrations anglaises : nous contemplons aujourd’hui sur des plages perdues au milieu du Grand-Océan le berceau de nations qui pourront un jour se distinguer aussi complètement de la souche primitive que les États-Unis d’Amérique. On verra surgir alors des dissidences plus graves et plus retentissantes que celles dont le conseil colonial est maintenant le théâtre. Si l’on analysait les tendances politiques de ces éleveurs de troupeaux et de ces marchands, on y découvrirait déjà des instincts républicains très vivaces et impatiens du joug. La force et la prudence de la métropole contiendront plus ou moins long-temps l’esprit de rébellion ; mais peu à peu les liens se relâcheront, et l’indépendance, proclamée d’abord dans un club obscur ou dans un congrès illégal, finira par être écrite dans un traité solennel. Voilà l’avenir probable des grands établissemens britanniques de l’Australie, et surtout de la Nouvelle-Galles du sud.

Quels seront le caractère et le rôle de ce peuple affranchi ? Débarrassée d’un principe corrupteur, la société coloniale se sera élevée, nous l’espérons, à une moralité plus rigide ; elle s’inspirera de sentimens plus chrétiens. C’est la condition de sa future importance. Le génie mercantile et le goût d’une existence libre, exempte de ces entraves dont on se plaît à charger notre vieille civilisation, paraissent devoir former ses traits les plus saillans. Sous beaucoup de rapports, sa physionomie reproduira celle des Américains du nord avec moins de puritanisme extérieur, moins d’orgueil et plus d’aménité. La position géographique de l’Australie fera de cette population un intermédiaire naturel entre les idées européennes et le monde océanique. Si cette mission est dignement remplie, elle peut valoir à un peuple une belle place dans l’histoire de l’humanité.


A. AUDIGANNE.