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avaient langui, immobiles et corrompus, avant que l’élément libre y eût porté son industrie et ses capitaux ; elle voyait bien que la déportation y entretenait un germe corrupteur et ne leur permettrait jamais de dépasser un certain niveau. Cependant elle voulut attendre que la colonie eût épuisé tout le secours que le travail des condamnés pouvait prêter à son développement, avant de porter la main à l’édifice et de l’asseoir sur de plus larges bases. Quand l’occupation lui parut fermement, assurée, quand l’Australie fut le siège d’une grande activité commerciale, quand on eut apprécié les avantages de son climat et les ressources de son territoire, alors le gouvernement anglais songea à délivrer le pays d’un contact délétère et à l’élever dans l’échelle sociale. Les intérêts matériels permettaient alors de penser aux intérêts de l’ordre moral. L’Australie était assez forte, comme les événemens l’ont démontré, pour supporter un changement aussi complet. Peut-être cette transformation se serait-elle accomplie sans la moindre secousse, si elle n’avait pas coïncidé avec des circonstances fâcheuses qui amenèrent une assez longue crise, et qui ont entravé dès le début l’application du nouveau système.

L’esprit ardent, aventureux, des colons avait été la principale cause des progrès de la colonisation ; mais la fureur des entreprises hasardeuses, une confiance aveugle, amenèrent là, comme aux États-Unis d’Amérique, de cruelles et nombreuses déceptions. L’expérience est à ce prix. On avait voulu aller trop vite et mener trop d’affaires à la fois. Des difficultés financières furent la suite de ces entraînemens irréfléchis. La crise se compliqua par la faillite de la banque, dont le contre-coup ébranla toutes les situations. Les guerres de l’Inde et de la Chine vinrent en outre, au même moment, occasionner une diminution sensible dans la valeur des produits coloniaux. De son côté, le gouvernement de la métropole haussait le prix des terres inoccupées ; les ventes, qui avaient donné plus de 4 millions de francs en 1840, ne montèrent pas à 200,000 francs en 1843. S’ajoutant à une révolution dans le régime du travail, tous ces événemens firent tomber de moitié le chiffre des importations et affectèrent une prospérité jusque-là constante. Il est si vrai, pourtant, que l’Australie était mûre pour la réforme économique opérée dans son sein, que ces embarras accumulés ne laisseront pas de traces durables. Si la crise a ralenti les transactions de telle ou telle place, elle n’a point empêché la formation d’établissemens nouveaux, ni obscurci l’avenir de ce monde naissant. Le gouvernement britannique est intervenu pour remédier au mal ; mais, on doit le dire, il est intervenu en tâtonnant : les mesures prescrites portaient le sceau d’une hésitation qui devait en compromettre le succès, et qui parvint à mécontenter tout le monde. Comme la société coloniale marchait plus vite que lui, le gouvernement était obligé de courir après elle. Singulière