Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 17.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
LA DERNIÈRE GUERRE MARITIME.

m’écrire une pareille lettre, si la flotte russe eût encore été à Revel. En traversant la Baltique, la flotte anglaise rencontra la frégate la Latone, qui portait à Saint-Pétersbourg le nouvel ambassadeur chargé de terminer les différends survenus entre les deux cours, et lord Saint-Helens, auquel il était réservé de consacrer, par une convention formelle, le principe si long-temps contesté de la visite des bâtimens neutres, réussit sans doute à convaincre l’impatient amiral que toute démonstration impérieuse de la part de l’Angleterre ne pouvait qu’être préjudiciable au succès des négociations qu’il allait entamer. Après sa malencontreuse excursion à Revel, Nelson se vit donc condamné à rester spectateur passif des efforts de la diplomatie. Plus inquiet alors et plus agité que jamais, il ne passa plus un jour sans importuner l’amirauté de ses plaintes et sans solliciter son rappel. « Cet air vif du Nord, écrivait-il à ses amis, me glace jusqu’au fond du cœur. Je suis un homme mort, si je ne rentre en Angleterre, et pourtant (ajoutait-il par un de ces mouvemens sublimes qui rachetaient amplement ses boutades), je ne voudrais pas mourir d’une mort naturelle ! »

Serviteur inappréciable quand il fallait combattre, Nelson mettait à de fortes épreuves la patience de l’amirauté, dès que son activité manquait d’aliment. Un chef aussi facilement irritable était d’ailleurs un mauvais interprète des intentions pacifiques du ministère Addington. Ce ne fut donc point sans une secrète satisfaction que l’amirauté consentit à faire droit aux demandes réitérées de Nelson et se décida à lui envoyer un successeur ; mais, dans la flotte anglaise, cette nouvelle causa un deuil universel, car Nelson était resté pour ses matelots et ses officiers le chef affectueux et dévoué qu’il était aux jours de sa jeunesse,

Son plus grand soin était d’assurer l’approvisionnement de son escadre et de procurer aux équipages une nourriture saine et abondante. La flotte était sans cesse en mouvement pour cet objet ; mouillée dans la baie de Kioge ou devant le port de Rostock, sur la côte du Mecklenbourg, il était rare qu’elle manquât de vivres frais. Un autre objet attirait aussi toute la sollicitude de Nelson : c’était la conservation et l’emploi judicieux des cordages de rechange embarqués sur la flotte. Aussi, grace à cette économie sévère dont l’Angleterre n’a point perdu le souvenir, ne connaissait-il point ces détresses dont tant d’amiraux ne cessaient de se plaindre. « Pour nous, écrivait-il à l’amirauté, j’ose dire que si nous avons beaucoup de besoins imaginaires, Dieu merci, nous n’en avons pas de réels. » Pour arriver à ce résultat, Nelson n’épargnait ni son temps ni ses peines. À quatre ou cinq heures du matin, il était sur pied. Jamais il ne déjeunait plus tard que six heures. Un ou deux midshipmen partageaient avec lui ce repas matinal, car Nelson aimait cette joyeuse pépinière de la flotte, et ne craignait point de rire avec ces enfans, se montrant souvent plus enfant qu’eux-mêmes. À huit