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regrette que la page qui rappelle notre colonisation de l’Australie arrive sous les yeux de la postérité. »

Nous aussi, nous passerons vite sur ce lugubre drame sans faire aucun rapprochement ; il serait par trop facile de relever ici les accusations des Anglais contre nous à propos de certains épisodes de notre guerre d’Afrique, épisodes affligeans sans aucun doute, mais exceptionnels et qui se sont passés au milieu d’une guerre déclarée à un peuple cruel, fanatique et belliqueux. Nous ne dirions même pas un seul mot de l’extermination complète de la race aborigène dans la Tasmanie, si de cet événement, l’un des plus monstrueux qui se soient accomplis depuis la conquête du Mexique ou du Pérou, il ne devait pas résulter des enseignemens utiles à la cause de la modération et de l’humanité. Nulle part on n’avait foulé aux pieds plus froidement et plus systématiquement un peuple faible et asservi. Pour se débarrasser de toute idée de devoir, les colons anglais commencèrent par déclarer que les naturels n’étaient pas des hommes et devaient être traités comme des bêtes. Quels actes de cruauté furent la conséquence de cette doctrine inflexible, on se le figure aisément. Les crimes dont la guerre d’extermination a été remplie ne sont pas tous parvenus à la connaissance de l’Europe ; on en sait assez cependant pour assigner à la lutte son caractère général. Quand les colons, fatigués de longues chasses où des hommes étaient pris pour du gibier, cessèrent de poursuivre les indigènes, le nombre de ces derniers, dans toute la Tasmanie, était descendu au-dessous de deux cent cinquante individus refoulés dans des forêts impénétrables. Comment se débarrasser de ces derniers ennemis qui troublaient la sécurité coloniale ? Les Anglais songèrent alors à déporter les restes de la population noire dans une des îles du détroit de Bass. Sous l’influence des conseils passionnés des colons, on imagina une vaste battue qui devait cerner les nègres et les prendre comme dans un filet. Le gouvernement de la métropole prêta son assistance à l’exécution de ce plan. Au jour fixé, toute la colonie fut debout ; des cordons se déployèrent en tous sens ; on commença une série de marches, de contre-marches et de manœuvres fort habiles peut-être, mais que la disposition du pays rendit inutiles. Cette grande et coûteuse expédition finit d’une manière ridicule par la capture d’un seul indigène.

On renonça désormais à la force pour recourir à la ruse. Un colon adroit, après avoir obtenu l’approbation du gouvernement, se rendit seul au milieu des naturels ; il se présenta comme leur ami dévoué, et, avec sa parole persuasive et ses stratagèmes, avec des promesses séduisantes et trompeuses, il amena les diverses familles à consentir à leur propre déportation. Si ces malheureux, qui avaient tant de maux à venger, avaient été aussi féroces que le prétendaient les colons, au lieu de prêter l’oreille aux suggestions du messager des blancs, ils l’auraient