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on retrouve la vie et le mouvement de l’Europe. Cette terre se transforme, ces déserts s’animent sous la baguette magique de l’industrie moderne ; des cités commerçantes s’y sont élevées comme par enchantement. Autour de plusieurs points des côtes, des bateaux à vapeur versent déjà leur fumée sur l’Océan vaincu. Ainsi, dans l’Australia Félix, dans la baie du Port-Philippe, deux villes nées d’hier, Melbourne et Geelong., ayant des quais, des docks, des phares, sont rattachées l’une à l’autre par un service de steamers quotidiens, comme Londres et Édimbourg. Dans la terre de Van-Dienien ou Tasmanie, on rencontre, sur une excellente route traversant l’île entière de Hobarton à Launceston, des relais de poste et des auberges comme en Europe. On parle de construire un chemin de fer entre les deux villes, afin d’ouvrir aux marchandises une voie qui éviterait les dangers d’une mer orageuse et semée d’écueils. En vingt endroits de l’Australie, et surtout dans la Nouvelle-Galles du sud, où le charbon de terre est à si bas prix, on s’occupe également de la construction de chemins de fer ; on discute les tracés, on s’échauffe comme à la Bourse de Paris ou de Londres. Voyez-vous un indigène nu et abruti regarder, du haut d’un roc, une locomotive volant sur la surface des plaines, les dernières conquêtes de la civilisation transportes au milieu d’une nature encore sauvage, les plus étonnantes merveilles de l’industrie sur un théâtre tout-à-fait primitif ! Voici d’un côté l’homme au dernier degré de l’échelle intellectuelle, et de l’autre une des plus magnifiques expressions de la puissance de l’esprit humain !

Comment se fait-il qu’en France nous jetions si rarement les yeux vers ce monde en travail qui sollicite notre curiosité par d’aussi frappans contrastes ? Ne devrions-nous pas suivre avec plus d’attention les mouvemens de cette société naissante, si singulière, si active, si audacieuse, et à laquelle les immenses progrès accomplis en un demi-siècle semblent promettre un rôle important ? A peine possédons-nous quelques vagues et incomplètes notions sur les curieux élémens dont elle se compose et sur son caractère moral et politique. Les relations publiées dans notre pays ne sont plus au niveau de la situation actuelle, et ne suffisent pas, d’ailleurs, pour nous donner une juste idée de l’œuvre entreprise par l’Angleterre et des résultats de cette œuvre, soit pour le peuple anglais, soit pour le monde. Il semble cependant qu’au double point de vue de la civilisation et de la force relative des états, la France et l’Europe auraient de graves motifs pour se préoccuper des efforts de la Grande-Bretagne dans cet hémisphère méridional où elle a implanté la race européenne. N’aurions-nous pas aussi quelque intérêt à savoir comment elle s’est conduite envers les tribus indigènes, et si elle a donné l’exemple de cette modération, de cette philanthropie dont elle se fait volontiers l’apôtre auprès des autres peuples ?