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de bois sur les charbons du brasero, fit chauffer un peu de vin qu’il avait, et vendit à l’alferez un vieux manteau dont la señora se couvrit de son mieux. Quand les habits furent séchés à peu près et que le cheval eut repris haleine, l’alferez, sentant qu’il n’y avait pas de temps à perdre, proposa à doña Maria de continuer la route. Au dire du batelier, ils se trouvaient sur le chemin de Cuzco, à six lieues environ de la ville. La señora fut ravie de l’apprendre ; une de ses tantes était la supérieure du couvent de Saint-Augustin, le plus considérable de Cuzco, et elle trouverait auprès d’elle un asile assuré et inviolable : on repartit donc, et, aux premières lueurs du matin, les fugitifs virent briller dans le lointain les toits et les clochers de la ville. À cette vue, l’alferez venait de pousser un cri de joie, quand tout à coup sa compagne, se serrant avec effroi contre lui : — Ah ! señor, murmura-t-elle d’une voix éteinte, je suis perdue ! — Le galop d’un cheval se faisait entendre, et don José, s’étant retourné, reconnut Chavarria dans le cavalier qui courait sur eux à toute bride. Résolu à sauver sa compagne, il serra le ceinturon qui l’attachait à lui et lança son cheval à sa plus grande allure. La vie n’était plus pour eux qu’une question de vitesse. Dès le premier coup d’œil, l’alferez avait remarqué que Chavarria montait un cheval dont la vigueur lui était connue, celui de Calderon. Le pauvre animal était fumant, harassé, couvert d’écume ; mais le sien aussi faiblissait, il portait un double poids, et don José savait qu’en plaine, sur une route facile, il ne pourrait lutter long-temps son seul moyen de salut était de se jeter dans un terrain inégal, semé d’obstacles, où son cheval suppléerait à la vitesse par l’adresse et le courage. Cependant il fuyait toujours : c’était une étrange course que celle de ces deux cavaliers, dont l’un soutenait une femme pâle, mourante, échevelée, tandis que l’autre, penché sur la crinière, animant son cheval du geste et de la voix et gagnant du terrain, croyait enfin toucher à l’heure de la vengeance. Cuzco était à une demi-heure encore. Le théâtre de cette chasse était le penchant d’une colline couverte d’un épais maquis. Le chemin où couraient les deux cavaliers était, d’un côté, bordé d’une large tranchée, au-dessous de laquelle le terrain, jonché de ronces et de cailloux, descendait vers la ville par une pente rapide. Si son cheval eût été plus frais ou moins chargé ; l’alferez n’eût pas hésité à lui faire franchir la tranchée, si large quelle fût : mais les forces du pauvre animal pouvaient le trahir, et une chute les perdait. Cependant Chavarria se rapprochait de plus en plus ; il fallut prendre un parti : faisant brusquement tourner son cheval et l’enlevant avec cette résolution qu’un cavalier décidé communique presque toujours à sa monture, l’alferez franchit le fossé. Le cheval s’abattit sur le revers ; mais, soutenu par une main ferme, il se releva en trébuchant, et reprit sa course effrénée à travers les pierres et les ronces, sur une pente d’une effrayante déclivité. Quand don José