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avançait pourtant comme poussée par une force indépendante d’elle-même, et elle arriva sous la potence. Le corrégidor, monté sur une mule blanche, remit la sentence au chef des alguazils, qui la lut à haute voix. Pendant ce temps, une sorte de surexcitation s’emparait de Catalina, et un étrange sentiment d’amour-propre lui rendit tout son sang-froid. Le bourreau nouait la corde savonnée. « Ivrogne ! lui dit-elle, tu ne sais pas faire ton métier ! » Et, lui arrachant la corde des mains, elle fit elle-même un de ces nœuds savans dont les matelots ont le secret. La foule ne put alors contenir son admiration, des voix crièrent Grace ! grace ! Le corrégidor, craignant une émeute, fit signe au bourreau de se hâter ; mais en ce moment un cri perçant retentit, et un cavalier couvert de poussière, débouchant au grand galop sur la place, vint remettre une dépêche au corrégidor. Un silence profond succéda aux murmures qu’avaient excités les apprêts du supplice, un vif sentiment de curiosité, qui gagna le bourreau lui-même, se peignit sur tous les visages. Dès que le corrégidor eut jeté les yeux sur la dépêche, il donna l’ordre de suspendre l’exécution et de ramener le condamné dans la prison. Une immense acclamation, long-temps contenue, éclata de tous côtés à la fois ; la foule s’ébranla, les alguazils s’empressèrent, et tandis que les groupes se formaient, que les moines eux-mêmes se questionnaient avec étonnement, que la population tout entière se perdait en conjectures, Pietro, escorté des exécuteurs, avait regagné la prison.

On connut bientôt la cause de cet incident inattendu. La dépêche qui avait sauvé la vie au condamné venait de la Plata ; elle était expédiée par le président don Martin de Mendiola. Quelques jours auparavant, les deux témoins qui avaient déposé contre Catalina étaient tombés entre les mains de la justice. C’étaient deux misérables spadassins aux gages du premier venu ; condamnés à mort pour leurs méfaits et soumis préalablement à la question, ils avaient avoué, entre autres crimes, qu’ils ne connaissaient pas Pietro Diaz, et qu’ils avaient été payés pour le dénoncer. Le président avait écrit sur-le-champ aux autorités de Tucuman pour les prévenir qu’elles eussent à suspendre ce procès, qui devait être porté devant la juridiction supérieure de la Plata. On devine que la señora n’avait pas été étrangère à cet événement. Après avoir inutilement invoqué la pitié du corrégidor de Tucuman et vainement tenté sa cupidité, elle était partie pour la Plata en toute hâte, laissant Juana sous la garde d’une femme de confiance et d’un franciscain tout dévoué. À la Plata, ses démarches avaient été plus heureuses. Accueillie avec distinction par don Martin, ancien ami de son mari, elle avait fort activé la justice et contribué sans nul doute au départ précipité du courrier extraordinaire qui devait sauver son futur gendre. Catalina lui dut avec la vie l’indulgence de ses nouveaux juges, car, transportée deux