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l’aventurière avec bonté, lui demanda son nom et son histoire. Celle-ci répondit qu’elle s’appelait Pietro Diaz, alferez au service d’Espagne, et, quant à son histoire, elle débita, avec son impudence ordinaire, un de ces contes qu’elle tenait prêts pour la circonstance. On trouva l’alferez charmant : il avait l’air martial, quoique si jeune et sans barbe encore. On l’engagea à rester dans l’habitation tout le temps qu’il voudrait, toujours s’il lui plaisait. Il pouvait, si bon lui semblait, s’occuper de l’exploitation ; on vivait heureux dans cette campagne isolée qu’on ne quittait guère, sauf pour aller faire quelques emplettes à Tucuman. Pietro, avait un goût médiocre pour l’existence bucolique, écouta cependant avec respect et en apparence avec plaisir les propositions de la bonne dame. Il laissa même percer un dégoût secret de l’état militaire, car, avant de chercher fortune ailleurs, il fallait se reconnaître. Cette situation nouvelle, si transitoire qu’elle dût être, avait bien son mérite dans les circonstances présentes, et il était sage, en attendant mieux, d’en prendre possession le plus agréablement possible. La causerie, qui s’était ainsi engagée sur un ton fort amical entre l’alferez et son hôtesse, durait depuis une heure, quand la porte s’ouvrit, et une charmante jeune fille entra : c’était Juana, la fille de la señora. Juana pouvait avoir seize ans. Née d’un père espagnol et d’une mère américaine, elle joignait à la physionomie piquante des Andalouses cette taille souple, cet œil velouté, cette langueur voluptueuse qui sont le partage des Péruviennes. Un collier de corail se détachait sur son teint d’une pâleur mate, même un peu bistrée, et ses longues boucles d’oreilles donnaient à sa physionomie un air particulier d’étrangeté et presque de sauvagerie.

Elle salua l’alferez sans embarras, avec cette simplicité naturelle et gracieuse qu’on ne trouve guère, hélas ! dans les pays civilisés, où les maîtres de danse donnent cependant des leçons de distinction et de courtoisie. Dans le désert où elle avait passé sa vie, Juana n’avait guère vu d’autres hommes que les domestiques de sa mère ; on comprend la curiosité naïve avec laquelle elle regarda ce jeune étranger, dont l’apparition avait ce caractère mystérieux et romanesque qui a séduit, de tout temps et en tout pays, les imaginations féminines. Cet examen, il faut le dire, ne fut pas défavorable à l’alferez, et Pietro, de son côté, éprouva à la vue de la jeune fille un vif sentiment de sympathie et d’admiration. Il causa longuement avec elle et fut ravi de la candeur et de la grace de cette belle enfant, que ses récits enthousiasmaient. Au bout d’une semaine, l’alferez, établi dans la maison comme un ancien ami, retenu par un charme secret dont il ne se rendait pas compte, ne songeait plus à partir. Ce charme, quel était-il ? Cela est délicat à expliquer : c’était, disons-le sans détour, l’amour naissant qu’il inspirait à Juana, et qu’il excitait avec une curiosité coupable, mais