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garnison, à un grand nombre d’expéditions contre les Indiens. Au bout de ce temps, le gouverneur adopta un nouveau parti. Voulant en finir avec les ennemis, il rassembla ses troupes éparses et dirigea son armée, forte de cinq mille hommes, vers les plaines de Valdivia. Après beaucoup de marches et de contre-marches dans un pays dévasté, où les soldats manquaient de tout, on atteignit enfin les Indiens et on livra une sanglante bataille. La lutte était vive et encore incertaine, quand une horde d’ennemis, embusquée dans un ravin, se précipita avec fureter sur le bataillon de Catalina ; les soldats se débandèrent, les officiers furent massacrés en partie, et le drapeau fut enlevé. Ravis de ce succès, les Indiens, à la manière des Scythes, battirent en retraite, emportant leur trophée. À cette vue, Catalina, qui s’était réunie à un groupe de soldats résolus, ne put contenir sa fureur. Dans un moment de témérité sublime, digne des plus vaillantes héroïnes, elle enfonça les éperons dans le ventre de son cheval, en criant d’une voix éclatante « Qui aime l’Espagne me suive ! » Deux officiers, à son exemple, coururent sus aux Indiens, qui firent volte-face pour recevoir les trois imprudens agresseurs. Sans s’effrayer, Diaz et ses deux camarades s’élancèrent au milieu des sauvages, frappant à droite et à gauche, d’estoc et de taille, recevant des nuées de flèches sur leurs cuirasses retentissantes, blessant et blessés tour à tour. Bientôt l’un des trois fut tué ; les deux autres chargèrent avec une rage nouvelle. Au moment de reconquérir le drapeau, le second officier tomba mort. Diaz, resté seul, fend la tête au cacique qui emportait le trophée, saisit l’enseigne par la hampe, la brandit comme une lance, fait bondir son cheval dans la mêlée, tue et blesse des deux mains dans cette foule demi-nue, s’ouvre un chemin, et, sans souci des flèches qui l’atteignent, d’une pique traverse son épaule, il revient bride abattue vers les siens, qui couraient à son secours. Diaz fut le héros de cette journée, et nul ne se plaignit quand, le lendemain, Miguel de Erauso demanda pour son compatriote l’enseigne qu’il avait si vaillamment reconquise. Catalina fut nommée alferez[1] de la compagnie de Alonso Moreno.

Ce fut en cette qualité qu’elle combattit avec une grande distinction dans plusieurs affaires, notamment à la fameuse bataille de Puren, où, blessée de nouveau, elle lutta corps à corps avec un chef indien célèbre, Quispigancha, qu’elle eut le bonheur de faire prisonnier. Ces hauts faits lui valurent bientôt dans l’armée espagnole un certain renom. Catalina, fière de sa gloire, donna carrière à son ambition et à son arrogance. Vivant au milieu de ces soldats avides et cruels, véritables flibustiers dont l’histoire a consigné les effroyables excès, notre

  1. Le grade d’alferez, dans l’armée espagnole, correspond aujourd’hui à celui de sous-lieutenant en France ; mais à cette époque l’alferez était, à ce qu’il semble, enseigne ou cornette.