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inattendue, il devina facilement un complot. Béatrix était, à n’en pouvoir douter, la maîtresse d’Urquiza ; sa réputation était fort équivoque. En la faisant épouser à Domingo, le rusé négociant rendait à la belle une position honorable sans qu’il lui en coûtât rien, et la gardait pour son plaisir en conservant le commis pour ses affaires. La spéculation n’était pas maladroite. Domingo, tout en devinant cette intrigue, comprit qu’il fallait gagner du temps et hasarda quelques observations. Il était, dit-il, un méchant parti pour une aussi belle dame ; c’était mal récompenser sa générosité que de lui faire don de sa misère. Cette formalité du mariage était-elle d’ailleurs indispensable ? Ne pouvait-on pas se borner à affirmer que le mariage avait eu lieu, se retrancher derrière cet innocent mensonge ? Urquiza trouva ces scrupules très louables. — Mais, répliqua-t-il, comment faire croire à la famille irritée une pareille histoire sans lui montrer les actes officiels ? et l’amour de doña Béatrix, fallait-il le compter pour rien ? Sa démarche si généreuse ne la perdrait-elle pas à tout jamais, si elle n’était justifiée par un amour permis ? Enfin, la maison qui servait d’asile à Domingo était celle de cette belle personne ; que dirait le monde, que dirait le corrégidor lui-même, en apprenant le séjour forcé qu’allait y faire le meurtrier de Reyes ? À ces raisons judicieuses il n’y avait rien à répondre, et Domingo, en apparence convaincu, mais en réalité ne sachant que faire, remercia son ami du bonheur qu’il allait lui devoir.

En ce moment, la porte s’ouvrit, et Béatrix entra. Une vive émotion brillait dans ses yeux et colorait son visage ; elle était charmante ainsi. Son regard caressa tendrement Domingo, lorsqu’il vint lui baiser la main. On causa de l’évasion, on soupa ; devant la jeune veuve (car doña Béatrix était veuve), il ne fut plus question de mariage, comme on pense. Domingo cependant regardait avec anxiété autour de lui. Il examinait à la dérobée la porte, les fenêtres, car les choses allaient vite, et c’était le moment ou jamais d’invoquer son génie. On attribua, en plaisantant, sa préoccupation à la peur des alguazils, et, comme il devait avoir besoin de repos, on lui proposa de se retirer dans une chambre secrète cachée sous l’escalier, où nul ne pourrait le découvrir. Domingo accepta, et descendit précédé du négociant, qui portait une lumière, et de la señora, qui lui montrait le chemin. Sa première pensée fut de fuir ; mais Urquiza était alerte, vigoureux ; le laisserait-il courir ? Un cri d’ailleurs pouvait attirer du monde, et, s’il manquait son coup, c’était fait de lui. On arriva à l’entrée de la chambre mystérieuse. Catalina tremblait d’émotion et d’incertitude. Le négociant passa le premier ; la lampe qu’il portait éclaira une petite chambre sans fenêtre, sans autre ouverture que la lourde porte. Catalina se dit qu’elle était perdue si elle entrait, et son instinct lui inspira une de ces résolutions soudaines qui