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s’il fallait marcher au nord ou au sud. Elle opta pour le nord. Ces raisonnemens, si spécieux qu’ils fussent, ne la rassasiaient guère, et Païta pouvait être fort loin ; mais le ciel n’avait pas sauvé Catalina du naufrage pour la laisser mourir de misère sur la grève. Elle n’avait pas fait un mille qu’elle aperçut un tonneau, reste du Habanero, à demi défoncé sur la plage. Elle le trouva rempli de biscuit un peu avarié, à vrai dire. Tel qu’il était, ce fut un grand régal, et, sa faim assouvie, elle n’oublia pas de faire pour l’avenir une petite provision. S’étant remise en route, elle arriva dans la journée sur les bords d’un ruisseau qui fournit le complément de ce repas de naufragé. Le lendemain, elle marcha vaillamment tout le jour, et, vers le soir, comme elle perdait courage, elle crut apercevoir des maisons dans le lointain. Son instinct l’avait bien servie, c’était Païta.

Avant d’entrer dans la ville, Catalina avait eu le temps de réfléchir qu’ayant en poche des valeurs considérables, elle n’avait que faire de la commisération publique, et qu’il était inutile ou même peu prudent de raconter ses infortunes. Pourquoi chanter misère quand elle était riche et pouvait jouer sans nul doute, dans ce petit coin du monde, un rôle honorable ? En conséquence, elle se fit indiquer la meilleure auberge de Païta, entra délibérément dans cette locanda, commanda un excellent souper dont elle avait grand besoin et s’endormit tranquillement. Le lendemain, elle fit venir le plus habile tailleur de la ville, acheta un costume élégant, tel qu’il convenait au fils d’un riche armateur dont elle prit le nom et les allures, et se mit à parcourir les rues, galamment habillée, la tête haute, le chapeau de côté. Le tailleur qui avait opéré cette métamorphose se nommait Urquiza. Négociant plutôt que tailleur, il faisait un commerce lucratif à Païta et à Trujillo, où il avait un second comptoir. Catalina plut à Urquiza. Le négociant découvrit que notre aventurière avait une belle écriture, assez d’arithmétique pour tenir ses livres, une intelligence vive par-dessus le marché, c’est-à-dire toutes les qualités d’un excellent commis, et les commis étaient rares à Païta. Comme il devait partir peu de temps après pour sa maison de Trujillo, il proposa à Domingo (c’était le nouveau nom de Catalina) de s’associer à lui et de diriger en son absence ses affaires de Païta. Domingo accepta. Il reçut de son associé deux esclaves pour le servir, une négresse pour cuisinière, trois écus par jour pour sa dépense, et s’installa dans le magasin après le départ d’Urquiza. Le nouveau commis s’était fait donner des instructions détaillées sur la conduite à tenir, des renseignemens précis sur les acquéreurs ordinaires ; il connaissait à merveille les pratiques sûres et celles dont il fallait se méfier. Urquiza avait notamment désigné la señora Beatrix de Cardenas comme une personne distinguée, qu’il aimait fort, en qui il avait toute confiance, et un certain Reyes, cousin de cette dame, comme