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de Saint-Jacques, riche et galant gentilhomme qui, dès le jour même, prit à son service Catalina en qualité de page. Le lendemain, se voyant équipée de la tête aux pieds, vêtue de velours comme un prince, un poignard doré à la ceinture ; la nièce de doña Ursula sentit en elle une puissance invincible ; elle se crut appelée à de grandes aventures et entrevit son destin.

Un mois s’était à peine écoulé qu’un événement bizarre vint donner raison à ces pressentimens. Catalina était un soir de service dans l’antichambre de son nouveau maître avec un autre page, et par bonheur le jour baissait déjà, quand un vieux militaire se présenta, demandant à voir don Carlos. Aux premières paroles que proféra cet étranger, Catalina sentit un frisson parcourir tous ses membres : le visiteur, dont elle avait reconnu la voix, c’était son père, Miguel de Erauso. Le premier mouvement de Catalina fut de fuir ; puis, se ravisant, elle comprit qu’il fallait payer d’audace. En conséquence, elle répondit avec assurance que don Carlos était chez lui, et qu’elle allait demander si son bon plaisir était de le recevoir. Quand elle revint avec une réponse affirmative, Miguel de Erauso regarda fixement sa fille déguisée ; ce coup d’œil ne confirma pas sans doute ses soupçons, car il monta chez don Carlos, suivi du page, qui se sentait défaillir malgré son impudence. Le señor de Arellano parut au haut de l’escalier, et, embrassant cordialement le vieux Miguel, il lui demanda à quoi il devait le plaisir de le voir. Le vétéran raconta, les larmes aux yeux, l’évasion scandaleuse de sa fille, et Catalina comprit que don Carlos était le plus puissant protecteur du couvent de Saint-Sébastien, qui avait été fondé par sa famille. Jugeant inutile d’en entendre davantage sentant son cœur tourner au souvenir du regard paternel, elle monta dans sa chambre quatre à quatre, fit en deux tours de main un paquet de ses hardes, de sa bourse, qui renfermait huit doublons et, sans attendre la fin de la conversation de son maître, elle se sauva dans l’écurie d’une auberge, où elle se blottit dans la paille. Deux muletiers couchés comme elle dans la litière causaient ensemble à voix basse. Catalina prêta l’oreille et apprit que ses deux compagnons partaient le lendemain pour San-Lucar, en Andalousie, d’où l’escadre de Fernandez de Cordova devait mettre à la voile, le mois suivant, pour l’Amérique. À l’aube, elle se glissa hors de l’écurie et alla attendre sur la route la caravane des arrieros. Là elle fit prix avec eux et partit gaiement pour San-Lucar. Elle y arriva quinze jours après. L’escadre était en partance ; on cherchait de tous côtés des jeunes gens pour compléter les équipages. Catalina, que l’image de son père poursuivait encore, avait résolu de mettre l’Atlantique entre elle et sa famille ; elle se présenta donc devant Estevan Eguino, commandant de l’un des navires, et prit du service à son bord