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ner de nouveaux développemens à ces lois des pauvres qui, soit à propos de l’Angleterre, soit à propos de l’Irlande, ont toujours provoqué d’interminables débats, supprimer sous forme provisoire les derniers restes de l’ancienne législation des céréales, suspendre ce fameux acte de navigation qui a fondé la grandeur maritime de la nation, ébranler enfin, par une atteinte toute nouvelle, les droits jusqu’alors absolus et inviolables de la propriété aristocratique, ce sont là, certainement, de hardies entreprises, et peut-être auraient-elles coûté cher au cabinet qui les eût risquées en d’autres circonstances. Elles ont aujourd’hui passé sans obstacle, et c’est l’un des grands momens qu’il faudra compter dans l’histoire de cette lente révolution qui change peu à peu l’ordre social fixé par la vieille constitution britannique. L’état est investi d’un véritable droit d’expropriation sur les terres substituées ; c’est un point qu’il eût fallu remarquer plus qu’on ne l’a fait, parce que c’est un nouveau progrès de cette autorité générale et centrale de l’état qui s’élève insensiblement, de l’autre côté du détroit, au-dessus de toutes les résistances de privilèges et de localités. La destinée de l’Irlande semble être justement de pousser l’Angleterre, par une invincible nécessité, dans ces voies du gouvernement et de la société modernes pour lesquelles son organisation primitive lui inspirait plus de répugnance que d’attrait. L’émancipation des catholiques n’a-t-elle pas été l’une des causes qui ont le plus aidé à l’accomplissement de la réforme parlementaire, et le système d’éducation nationale qui fonctionne depuis quinze ans en Irlande n’a-t-il pas contribué beaucoup à répandre chez les Anglais la notion vraiment démocratique d’un état enseignant, le dégoût chaque jour plus marqué pour l’impuissance des associations particulières (volontary system) en face d’une tache si vaste ? Qui sait si un jour il n’en sera pas de même des abus de la propriété, des vices du régime ecclésiastique ? Qui sait par exemple si, quand on aura payé les prêtres catholiques d’Irlande, comme le veulent tous les hommes sensés des deux pays, on n’arrivera pas naturellement à tenir la même conduite vis-à-vis de ces dissidens dont le nombre ne cesse de croître en Angleterre ? Et alors, que deviendrait l’antique édifice, church and state ? La grande propriété n’est pas sans doute en Angleterre ce qu’elle est en Irlande, elle a pour se maintenir sa vraie sagesse et sa popularité ; elle a, par-dessus tout, l’indispensable contrepoids de la grande industrie, mais qui sait enfin si, dans des conjonctures moins heureuses, les griefs encore considérables qu’elle provoque ne s’autoriseraient pas, pour réclamer, des procédés auxquels on est obligé de recourir contre les landlords irlandais ?

Il s’en faut que la pitié de l’Angleterre pour le Kingdom-Sister soit absolument bénévole ; il n’y a pas là question de sentiment ; jamais charité n’a été faite avec moins d’illusion, parce que jamais indigence n’a été ni moins reconnaissante ni jusqu’ici plus incorrigible. Nous n’entendons point parler ainsi de ces masses déshéritées auxquelles on ne saurait guère imputer la responsabilité de leur misère, parce qu’elles ont été trop cruellement sacrifiées pour se relever à elles seules ; nous parlons de ceux à qui la responsabilité remonte, des propriétaires de tous les rangs qui, sauf d’honorables exceptions, n’ont jamais voulu s’appliquer sérieusement à mettre en valeur les merveilleuses ressources de leur pays, Ils ont toujours plus ou moins pensé que l’Angleterre était obligée de nourrir l’Irlande, et, par un singulier patriotisme, ils envisageaient cette obligation comme une expiation légitime et permanente de tous les maux que l’Irlande