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cette tâche. Il est impossible d’avoir plus de naturel, plus de grace, et d’introduire plus de nuances délicates et variées dans une situation qui, pour toute autre, aurait été monotone. Charmante sous le costume villageois, Mlle Brohan a fait assaut, avec Régnier, d’entrain, de gaieté et de franche passion. On ne saurait mieux rendre qu’ils ne l’ont fait l’un et l’autre cette naïve pastorale du second acte, comparable aux plus charmantes églogues de l’antiquité.

Que dirai-je de la mise en scène, si ce n’est qu’elle égale le soin apporté à tout l’ouvrage ? Je regretterais pourtant la beauté des décorations de Ciceri, qui allongent un peu les entr’actes, si l’on n’avait eu la bonne idée de les remplir par quelques morceaux de Mozart. On a, d’ailleurs, poussé le respect pour les moindres indications venues de Molière, jusqu’à faire apparaître au cinquième acte le fantôme d’une femme voilée qui se transforme tout à coup en une figure du Temps, avec sa faux à la main. J’avoue que je ne comprends ni le but ni la convenance de cette apparition mythologique dans une pièce fondée sur le merveilleux chrétien. Cette vision ne me paraît se lier à rien dans la pièce, à moins qu’elle ne soit l’annonce emblématique de la mort d’Elvire ; mais alors pourquoi le Temps avec sa faux ? Quoi qu’il en soit, il était de bon goût de se conformer à la volonté certaine de Molière. Je ne puis couvrir de la même excuse la fantasmagorie finale qui nous montre, derrière la gaze d’un transparent, don Juan livré au feu de l’enfer. Dans le Convié de pierre, que les comédiens italiens jouaient à Paris, vers 1657, la dernière scène de la pièce montrait aux spectateurs don Giovani au fond de l’enfer qui exprimait en vers (quoique tout le reste de la pièce fût en prose) ses souffrances et son repentir. Molière n’a pas jugé à propos de conclure aussi tristement la sienne. Après l’émotion rapide causée par la tragique catastrophe, il se hâte de rentrer dans le ton de la comédie, et accumule les burlesques exclamations dans la bouche de Sganarelle. Il est évident que Molière a voulu que sa pièce se terminât ; par le rire.


CHARLES MAGNIN.