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manteau court de Tartufe. On ne peut se faire une idée de la fureur du parti dévot, quand il vit s’élever contre lui sur la scène un nouvel adversaire, non moins habile et non moins redoutable que n’avait été Pascal. Un avocat au parlement de Paris, un sieur de Rochemont, s’oublia jusqu’à remontrer au roi, dans un odieux libelle, « que l’empereur Théodose condamna aux bêtes des farceurs qui tournoient en dérision nos cérémonies, dans des pièces qui n’approchoient point de l’emportement qui paroît au Festin de Pierre[1]. » On aimerait à rencontrer, dans les écrits contemporains, des renseignemens exacts sur cette lutte du génie contre les mauvaises passions, lutte qui commença par le Festin de Pierre, et dans laquelle jamais Molière ne faiblit, ni, ce qui est plus admirable encore, ne dépassa les justes bornes. Malheureusement on ne trouve presque rien sur Don Juan dans les recueils et les correspondances qui tenaient alors la place de nos journaux. Le Mercure galant ne commence qu’un peu plus tard. Loret, l’auteur de la Muse historique, était au moment de clore sa Gazette en vers, si l’on peut appeler vers un bavardage rimé tel que le sien. Déjà malade, il ne put, dans la lettre qui parut le 14 février, la veille même de la première représentation de Don Juan, que faire l’annonce de cette pièce, un peu cri style de paillasse :

L’effroyable Festin de Pierre,
Si fameux par toute la terre,
Et qui réussissait si bien
Sur le Théâtre-Italien,
Va commencer[2]

Nous ne possédons malheureusement, pour l’année 1665, qu’une seule lettre de Mme de Sévigné, qui n’était pas encore le noble et délicieux feuilletoniste de l’aristocratie du grand siècle, et, dans cette lettre unique, elle ne s’occupe que de l’exil de Fouquet. Quant à Guy Patin, dont on était en droit d’attendre sur ce sujet quelques boutades, en sa double qualité de médecin[3] et de libre penseur, il n’en dit pas le moindre mot, et n’enregistre même pas les épigrammes de Sganarelle contre le vin émétique, et pourtant, six mois plus tard, il saluait de sa verve railleuse l’apparition de l’Amour médecin, qu’il nomme, par une singulière distraction, l’Amour malade.

  1. Louis XIV aurait bien dû sommer ce savant homme de produire quelques extraits de ces pièces du Ve siècle. Leur production eût été un merveilleux service rendu aux lettres.
  2. Cet article n’est pas le dernier de la Muse historique, comme le disent les frères Parfait. La dernière lettre de Loret porte la date du 28 mars. Robinet continua dans le même style cette bizarre gazette.
  3. C’est dans Don Juan que Molière commença les hostilités contre la médecine.