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la réalité la plus pressante. Il n’y a rien de moins monacal que ce nouveau volume de l’auteur des Nuits et du Poète voyageur ; ce sont des pamphlets où les plus vives questions sociales sont chantées avec une irritation amère. L’auteur les intitule Chansons d’un homme pauvre, et il a bien soin de nous avertir, dans le titre même, qu’il les dédie à la maison Rothschild. Voilà, certes, un défi bruyant, voilà une provocation annoncée avec fracas ! Les amis de M. Charles Beck, les lecteurs qui s’intéressent à l’avenir de son talent, pensent que le jeune poète pouvait se passer aisément de ce faux éclat, et qu’il se serait fait écouter sans crier si haut : Me voici.

Il y a chez M. Beck un vrai cœur de poète. Les Nuits, le Poète voyageur, la Résurrection, les Mélodies hongroises, ont signalé avec bonheur les débuts de l’écrivain ; mais les qualités incontestables de son talent avaient besoin d’une direction sévère. Le poétique enthousiasme qu’on ne saurait lui refuser se prend trop souvent à des apparences, à des chimères, à des nuages trompeurs. Son cœur s’exalte, sa voix est pleine d’indignation et de larmes, il sait nous communiquer une émotion rapide ; puis, quand il est temps de répandre dans les ames, ainsi préparées, les enseignemens sublimes qui semblent remplir sa pensée, le poète reste muet ou balbutie une thèse vulgaire. Soit qu’il fit écrire à Louis Boerne la bible de l’avenir, soit que, dans son poème de la Résurrection, il appelât sur les montagnes ce bel archange qui vient évangéliser le monde nouveau, c’étaient toujours les mêmes promesses imprudentes, la même exaltation stérile. Aujourd’hui le poète prétend consoler tous les malheureux et dénoncer les iniquités d’une société mauvaise. Tâche difficile, à coup sûr ! difficile surtout pour un écrivain chez qui le cœur précède toujours la réflexion et se passe si facilement des idées. Il déclamera beaucoup, je le crains, il accumulera les métaphores pour dissimuler le vide de son œuvre, ou bien, ce qui est la même chose, s’il rencontre une pensée qui puisse se prêter aux développemens de la poésie, il sera impuissant à la féconder. Je souffre quand je vois un de ces ardens poètes, avant l’heure de la maturité et de la force véritable, s’attaquer à un sujet redoutable, se préparer à une lutte où il sera vaincu sans gloire. Il n’est pas donné à tous de prendre la parole au nom de l’homme pauvre, au nom des classes souffrantes. L’auteur des Feuilles d’automne a dit en de beaux vers :


Au banquet du bonheur bien peu sont conviés,
Tous n’y sont pas assis également à l’aise ;
Une loi, qui d’en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : Jouissez ! aux autres : Enviez !


Loi terrible ! pour en scruter les mystères, pour la réviser, pour l’amender, si cela est possible, il faut autre chose que de vagues déclamations et de prétentieuses images. C’est une fonction grave et précise. Quelle philosophie sérieuse elle exige ! quelle science des choses ! quelle impartialité supérieure ! Si M. Charles Beck eût écrit ce livre dans vingt ans, avec une ame aussi émue et enrichie par la méditation, nul doute qu’il se fût épargné bien des erreurs, bien des pages ridicules, bien des inventions très peu dignes de son talent. Ce n’est vraiment pas la peine de chanter avec un accent si indigné pour développer en strophes retentissantes des opinions aussi audacieuses que celles-ci : Le pauvre est malheureux, le pauvre souffre, le pauvre est privé des biens terrestres, etc… Une