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en possession d’une renommée durable ? N’est-ce pas lui surtout qui devrait justifier l’éclatante faveur d’un succès prématuré et renouveler par des travaux plus complets sa vigoureuse, mais étroite inspiration ? On a le droit de demander à l’auteur des Poésies d’un vivant les plus généreux efforts, car ni le public ni la critique ne lui ont manqué : une bienveillance trop sympathique l’a placé du premier coup à l’endroit le plus lumineux, et toute l’Allemagne a les yeux sur lui. Jamais chanteur n’a rencontré d’auditoire plus nombreux et plus attentif. J’insiste, parce que le découragement, hélas ! n’est que trop possible en face des obligations qu’impose un si rapide, un si merveilleux succès. Toutefois prenons garde : le silence de M. Herwegh est dû peut-être à la réflexion solitaire, aux préparations laborieuses, et, dans ce cas, ce n’est pas moi certainement qui voudrais troubler par une invitation trop vive la retraite du jeune écrivain. Il faut bien cependant savoir ce qu’est devenue la poésie chez nos voisins, et comment il a été répondu aux railleries de M. Heine, aux émouvantes provocations de M. Freiligrath. Puisque nous ne trouvons dans l’arène aucun des combattans éprouvés, puisque nous n’avons affaire ni à M. Anastasius Grün, ni à M. Herwegh, ni à M. Nicolas Lenau, ce seront sans doute les poetae minores qui vont appeler notre attention. Qu’importe ? S’il y a parmi eux un seul nouveau venu déjà protégé par la Muse, nous n’aurons pas perdu notre peine.

Ce qu’il faut remarquer tout d’abord dans la moisson poétique de cette dernière saison, c’est la diversité assez aimable des œuvres qu’elle a produites. Je veux signaler cet heureux symptôme ; depuis leur prise d’armes, en 1840, les chanteurs avaient brisé les plus riches cordes de la lyre, et, pour quelques strophes vraiment belles, on sait combien cette inspiration systématique avait appauvri la littérature. La politique était partout : elle avait troublé meule ces bruyans et inoffensifs Triuklieder si chers de tout temps à nos voisins. Les ballades d’Uhland, les mystiques fantaisies de Justinus Kerner étaient dédaigneusement proscrites par toute une phalange hautaine, armée de pied en cap. Il fallait voir les plus humbles écoliers grossissant leur voix et tachant d’accompagner en chœur M. Herwegh et M. Prutz. Le roi de Prusse ne recevait pas une pétition qui ne fût rimée, pas une adresse qui ne fût ornée d’apostrophes retentissantes et de prosopopées magnifiques. Tous ces grands sujets qui sont l’unique et éternel élément des inspirations durables, le cœur de l’homme et les splendeurs de la nature, les mystères de la pensée et les joies de l’ame, tout cela semblait condamné sans retour. La vraie poésie, la seule qui puisse convenir au génie de l’Allemagne, était devenue veuve. Aujourd’hui, grace à Dieu, les sources taries recommencent à murmurer dans les forêts, et une légère brise printanière parcourt les campagnes désolées. Si légère qu’elle soit, je ne négligerai pas de la suivre. Laissons les publicistes accomplir leur tache ; les pétitions valent mieux, écrites nettement en bonne prose. Personne ne conteste au génie le droit de consacrer en des ouvres sublimes la pensée émue de tout un peuple et d’imprimer le sceau divin de la poésie à ses plaintes, à ses réclamations ; mais combien est-il d’écrivains qui soient vraiment préparés à un si glorieux ministère ! Chacun chez soi. Le parti constitutionnel, qui a encore tant besoin d’unité et de sérieuse discipline, n’a rien à gagner aux incartades des poètes ; une ferme discussion, appuyée sur le bon sens et le bon droit, sera toujours plus efficace que les strophes les plus brillantes. J’ai redouté bien souvent ces auxiliaires incommodes ;