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et du travail, est la principale chance d’avenir pour l’Algérie, la seule espérance d’un peuplement rapide. C’est le point de vue qu’il faut choisir pour apprécier à sa juste valeur le système de M. de Lamoricière. Les offres faites aux spéculateurs et aux ouvriers sont-elles de nature à fertiliser la province d’Oran ? Appliquons la théorie du général à exploitation d’une commune ; par exemple celle des jardins dans la zone de Mostaghanem, d’une étendue de 4,000 hectares en terres de choix. Pour obtenir la concession de ces 4,000 hectares, le propriétaire s’engage : 1° à établir 250 familles, soit une famille par 16 hectares ; 2° à rétrocéder un cinquième de son domaine comme terrain communal, soit 800 hectares ; 3° à donner postérieurement 4 hectares par famille agricole, soit 1,000 hectares. Voilà donc la concession réduite par ces deux dernières clauses à 2,200 hectares seulement. Or, la propriété de cette superficie doit être achetée par l’installation de 250 familles. L’ordonnance du 21 juillet 1846 prescrivait pour chaque famille la construction d’une maison d’au moins 5,000 francs : M. Bugeaud porte la dépense totale à plus de 6,000 francs. Pour n’être pas suspect d’exagération, nous réduirons ce dernier chiffre de moitié, et nous compterons 3,000 francs seulement par famille pour les frais de voyage, la construction de l’habitation, l’achat du mobilier et l’entretien indispensable pendant les premiers temps. Eh bien ! pour ce premier article, le concessionnaire est obligé de débourser 750,000 francs, de sorte qu’il paie à raison de 340 francs l’hectare cette même terre dont les indigènes viennent de faire abandon à l’autorité française à raison de 2 francs. À ce prix, le spéculateur n’aurait qu’une terre en friche dans un canton dont les communications ne sont pas encore établies, dont les ressources commerciales sont incertaines. Qu’on double cette somme de 340 francs par hectare pour les frais de défrichement, pour la construction des bâtimens, pour l’achat des bestiaux et du matériel d’exploitation, pour le roulement des salaires et le déficit des premières années, et qu’on juge si l’opération se présente de manière à séduire les capitalistes prudens.

Plaçons-nous maintenant au point de vue du travailleur prolétaire, et demandons-nous si la combinaison proposée est de nature à faire affluer cette classe qui fait le fonds et la force de toute population. A quel titre les propriétaires appelleront-ils les ouvriers ruraux ? Sera-ce comme métayers ou comme salariés ? Le premier mode est impraticable, du moins dans l’état présent de la colonie : pour que de bons laboureurs consentent à être métayers, c’est-à-dire à se contenter, pour prix de leur travail, du partage des fruits, il faut qu’ils soient assurés qu’il y aura des fruits. Le métayage, genre de rémunération dont tous les agronomes ont signalé les effets funestes, est heureusement inapplicable à des travaux de défrichement. Il est donc probable que les