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réciproques des colons envers, l’état, comme de l’état envers les colons. Voulant faire ce que M. le maréchal Bugeaud appelle de la colonisation à bon marché, l’auteur s’est appliqué surtout à réduire le chiffre des dépenses. Ce chiffre devient en effet imperceptible, incroyable : 200,000 francs pour l’implantation de 2,332 familles européennes. Pour 11,650 personnes, à raison de cinq par famille, c’est environ 17 francs par tête[1]. Il est vrai qu’ayant pour principe de déplacer le moins possible les Arabes et de procéder, lorsqu’ils y consentent, par des échanges de terrain plutôt que par des indemnités en argent, la somme à débourser la première année est réduite à 20,000 francs[2]. Les dépenses d’installation sont ordonnées avec la même parcimonie. Jusqu’ici, pour fonder un village algérien, on a commencé par créer à grands frais les établissemens publics qui constituent une ville européenne. Après avoir construit une église, un presbytère, une école, une mairie, une caserne, après avoir aligné les rues, nivelé les routes, jeté les ponts, cadastré les champs, on tâchait de recruter les habitans, qui ne venaient pas toujours. M. de Lamoricière blâme comme un luxe inutile « cette perfection encore inconnue dans la plupart des villages de France ; » il pense qu’il suffit de balayer les lieux pour que la population y fleurisse. A chaque centre d’habitat on, une enceinte tracée par un fossé et un parapet en terre, le service des eaux, c’est-à-dire des puits, des fontaines, des pompes, des lavoirs, des abreuvoirs, des barrages, et, s’il se peut, des irrigations ; au lieu de la route communale, de simples sentiers à la manière arabe, « grossièrement rectifiés, débarrassés des broussailles et des palmiers nains pour que les charrettes y puissent circuler, » voilà tout ce qui est exigible au début. Des piquets détermineront provisoirement l’alignement des rues et la place des bâtimens publics ; les champs seront bornés, sauf vérification ultérieure, avec des pierres : les routes de première et de seconde classe seront tracées sur le papier. Ce n’est pas que l’auteur conteste l’utilité des travaux commandés par nos habitudes sociales ; mais il croit qu’au lieu de les improviser à grands frais, il faut les laisser faire, comme en France, peu à peu et avec le temps. C’est ainsi qu’en abaissant à 20 centimes par mètre en moyenne les dépenses pour la confection des chemins indispensables, en appliquant la même

  1. En considérant que l’auteur n’attribue aucune dépense aux deux communes du Sig, qu’il déclare être en voie d’exécution, on pourrait élever la moyenne à 23 fr. par tête.
  2. D’après les marchés passés provisoirement, et sauf ratification, avec les Arabes, cette somme de 20,000 francs n’est en général que le tiers du prix total convenu pour l’abandon d’environ 34,000 hectares de terre. À ce compte, l’hectare reviendrait à moins de 2 fr. En vérité, ce n’était pas la peine d’établir de si longues discussions pour savoir à qui appartient la terre algérienne, aux Français par droit de conquête, ou aux indigènes par droit d’ancienne possession. N’est-il pas plus loyal et plus économique de payer une légère indemnité, suivant l’exemple de M. de Lamoricière, et de ne pas s’exposer à des collisions ?