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la proposition annoncée officiellement aux chambres a pour but principal de solliciter les fonds nécessaires à une nouvelle expérience. Un échec n’est pas douteux, à moins que le projet ne reparaisse avec des modifications essentielles, ou qu’on se contente d’un essai sur une échelle très réduite.

Répétons pour conclure : l’intention du maréchal est louable ; le plan d’exécution est défectueux. Le maréchal a dit : « La question de force a plus d’importance à nos yeux que celle de la production. » Son erreur est dans ce mot. Il s’est si peu occupé de la production, que sa colonie doit rester improductive, et c’est précisément pour cela qu’elle sera faible numériquement et moralement. Des légionnaires, isolés dans leurs petites maisons, sur leurs petits carrés de terre, vivraient de la vie végétative de nos plus pauvres paysans, et finiraient par se démoraliser. Le meilleur, l’unique moyen de développer une population coloniale, c’est d’assurer son bien-être. Les nations fortes ne sont pas les plus populeuses ; ce sont les plus riches. Qu’on nous cite donc une société pauvre et improductive qui ait fait une grande figure militaire, si ce n’est passagèrement et dans un état de surexcitation sauvage. Au contraire, Venise, la Hollande, l’Angleterre, n’ont-elles pas montré l’intelligence et la virilité politiques suivant la prépondérance commerciale ? Qu’au lieu de chercher la défense territoriale en dehors de l’industrie, on la fasse sortir d’une bonne et large organisation industrielle, et le problème sera résolu.


IV.

De même que le système de M. le maréchal Bugeaud, le système de M. le général de Lamoricière a subi plusieurs phases. L’idée primitive, exposée assez vaguement dans une note publiée au commencement de 1845, était résumée dans ces mots : « Assurer une prime, un intérêt, pendant les premières années, au capital dont l’emploi sera constaté sur le sol en travaux destinés à préparer la venue de la population qu’on veut attirer. » Le général supposait qu’il suffirait de renouveler en Algérie ce qui a été pratiqué en France pour peupler les landes de la Bretagne. Pour fonder un lieu, suivant l’expression bretonne, le propriétaire d’une terre en friche faisait jadis élever les bâtimens d’habitation, creuser les puits, enclore les champs, tracer grossièrement les voies de communication. On installait ensuite, en qualité de fermiers ou de métayers, des colons auxquels on donnait en cheptel le grain pour les semences, avec les animaux et les outils indispensables pour le travail. Rien de plus simple qu’une telle opération dans une province où existaient de riches propriétaires, au milieu d’une population affamée. Dans un cas pareil, quelque faible que soit le revenu, il vaut