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surabondance de bras relativement au travail offert, tout homme qui possède une mince pièce d’argent est certain de rencontrer un de ses semblables qui lui vendra le travail de sa journée, même lorsque l’offre serait inférieure au prix réel du labeur. Qu’on ne s’y trompe pas cependant : cet état de choses n’est pas normal ; c’est la plus dangereuse des maladies qui affligent nos vieilles sociétés. L’Afrique française, société naissante, n’a pas encore eu le temps de contracter cette lèpre du paupérisme. On ne passe pas la mer, on n’affronte pas un climat suspect, on ne s’expose pas aux sabres et aux balles pour travailler à vil prix. Il est évident qu’elle n’obtiendra des colons effectifs, disposés à faire de l’Algérie leur seconde patrie, que par des offres séduisantes, par l’appât d’une rémunération qui garantisse l’avenir, soit que cette rémunération consiste en titres de propriété, en participation aux bénéfices, ou en salaires très élevés.

L’impossibilité d’obtenir la main-d’œuvre à bas prix a été jusqu’ici le principal sujet de découragement. Peut-être que cet obstacle deviendra au contraire le salut et la gloire de l’Algérie. Après s’être débattu vainement dans l’ornière, on éprouvera l’impatience d’en sortir, et, sous l’inspiration de l’intérêt bien entendu, on substituera aux routines de la ferme et de l’atelier un régime industriel plus loyal et plus fécond. L’égoïsme aura beau se débattre, il en faudra venir là ou perdre l’Algérie. Au surplus, en supposant le travail agricole loyalement organisé, la forte part faite à des ouvriers d’élite serait moins onéreuse en réalité qu’en apparence. On se procure aisément, en Algérie, des mendians ou des vauriens, rebuts de leur pays, au prix de 2 fr. par jour, mais ils ne travaillent pas et volent leurs maîtres. Les manœuvres indigènes se contentent de 1 fr. à 1 fr. 50 cent. par jour, plus une portion de pain évaluée à 30 cent. ; mais ces hommes, qui ne consomment avec leur pain que de l’eau et des figues sèches, sont si indolens de corps et d’esprit, qu’en réalité ils coûtent plus cher que les bons ouvriers européens. Ceux-ci, absorbant quatre ou cinq fois plus d’élémens nutritifs, déploient une vitalité en rapport avec leur alimentation[1]. La forte nourriture procurée aux ouvriers est un genre d’économie que les chefs d’industrie commencent à comprendre. La facilité que les planteurs des États-Unis ont de nourrir leurs nègres de viandes fraîches est la principale cause de leur supériorité sur ceux des Antilles dans les cultures qui dépendent principalement de la main-d’œuvre, comme celle du cotonnier. En Algérie, un bon mécanisme d’association, utilisant toutes les forces d’un ménage, prévoyant les besoins du présent ; garantissant l’avenir, doit fournir le moyen d’assurer aux classes ouvrières

  1. En 1833, dit M. Genty de Bussy, la consommation de la viande à Alger a été évaluée à 194 kilogrammes pour un Européen, 43 et demi pour un Maure, 21 trois quarts pour un Juif.