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de bas étage. On supposerait même, sans trop d’invraisemblance, que Bulwer a voulu donner un hideux pendant à certains portraits, comme ceux du Chourineur, du Maître d’École, du Squelette, quand il a glissé dans son roman la figure épouvantable du Body-Snatcher, -le voleur de cadavres, — qu’il finit par accoupler à Varney l’empoisonneur sur les bancs du navire qui emporte ces deux misérables. A vrai dire néanmoins, ce n’est là qu’une imitation fort incomplète, portant sur quelques détails accessoires, et d’ailleurs, ainsi que nous le disions en commençant, Bulwer a pu choisir ses modèles en ce genre parmi ses compatriotes. Dickens dans Oliver Twist, Harrison Ainsworth dans Jack Sheppard, et les copistes de l’un et de l’autre, dans des centaines de romans anonymes, ont analysé des existences non moins souillées, non moins infimes que celles qui tiennent tant de place dans le dernier récit de Bulwer. Nous sommes donc en droit de repousser, comme une accusation légèrement portée, cette solidarité que l’on veut établir entre les horreurs tant reprochées à Lucretia et celles que l’on signale à bon droit dans quelques-uns de nos romans-feuilletons. Ce qui nous porterait surtout à douter de cette imitation directe, c’est précisément ce qui a valu à sir Edward Bulwer tant d’acrimonieux réquisitoires : — une petite note, imprudemment loyale, par laquelle Bulwer reconnaît avoir librement plagié (freely plagiarized), dans un roman de M. de Balzac, une description qui l’avait frappé[1]. L’aveu spontané d’un plagiat partiel n’implique-t-il pas en effet que l’auteur de Lucretia se sentait, pour le reste de son livre, à l’abri de cette espèce de reproche ? S’il l’eût redouté, ne se serait-il pas bien gardé de se dénoncer ainsi lui-même, et de donner l’éveil à la critique ?

Ce que nous disons des origines littéraires, nous le disons aussi des sources historiques. Au premier abord, on pourrait croire que Lucretia Clavering est l’effigie tant soit peu dénaturée d’une femme à qui la presse française fit naguère une célébrité déplorable. On est d’autant mieux confirmé dans cette opinion, que l’on sait davantage à quel point le procès du Glandier préoccupa nos voisins, et quelles terribles conclusions leurs écrivains en tirèrent contre la société française, contre la littérature moderne, contre l’éducation que les femmes reçoivent chez nous. Ce fut, on s’en souvient, un tolle universel de l’honnête et religieuse Angleterre contre la France athée et perverse, anathème injuste comme la plupart des anathèmes, et que ne justifiait nullement la moralité comparée des deux pays. Toutefois, nonobstant la vraisemblance des conjectures que l’on pourrait former à cet égard, elles sont démenties par l’écrivain, qui nous dit expressément de quels faits réels il s’est inspiré. Persuadé que le grand mal de notre époque est une ambition

  1. Lucretia, tome II, p. 79 et 80,