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lui manquent, malgré l’assistance d’un complice adroit et dévoué, Gabriel Varney, qu’elle retrouve, et sur lequel, femme toujours supérieure, elle reprend bientôt son ancien ascendant.

Maintenant que, sans en briser le fil, nous avons suivi une narration qui embrasse près de trente années, il est temps de lever le rideau sur la seconde partie, le second acte, si vous voulez, de cette longue tragédie bourgeoise.

Le propriétaire de Laughton-Priory, le cousin Vernon, est mort sans avoir voulu revoir Lucretia. Il n’a laissé qu’un fils, le jeune Perceval Saint-John, confié à une mère accomplie, et qui a déjà plus de vingt ans à l’époque où nous transportons nos lecteurs. De leur côté, Suzan Mivers et Mainwaring, morts tous les deux, n’ont aussi laissé qu’un enfant, miss Helen Mainwaring. Lucretia, sa plus proche parente, a su, par la régularité de sa vie, et en faisant appel à la compassion de ses proches, attirer auprès d’elle cette jeune fille. Ange de douceur et de beauté, miss Mainwaring croit remplir un devoir pieux en assistant sa tante, réduite, par ses infirmités, à ne pas bouger du fauteuil où elle est confinée. Quels sont les projets de Lucretia ? Nul ne les saurait deviner. Elle-même peut-être n’a pas encore mesuré toutes les chances de l’avenir, et tout au plus est-il entré dans sa pensée qu’à un jour donné son autorité sur Helen, la déférence de cette noble enfant, et la perversité de Gabriel Varney lui offriraient un moyen de raffiner encore sur la vengeance qu’elle a déjà tirée de Mainwaring et de Suzan. Ceci, toutefois, n’est qu’une hypothèse. Lucretia, nous le répétons, n’a rien décidé, rien prévu. Les événemens doivent régler sa conduite, et par exemple, si Perceval venait à mourir, si par sa mort Helen Mivers devenait l’héritière de Laughton, Lucretia ne serait-elle pas heureuse d’y rentrer avec sa nièce, cette nièce qu’elle aurait protégée dans le malheur, et dont elle aurait le droit de partager la prospérité inattendue ?

Les choses tournent autrement. Des circonstances purement fortuites, le tumulte d’une fête publique, les grossières attaques de deux passans avinés, amènent entre Helen et Perceval une de ces rencontres invraisemblables dont un romancier véritablement habile ne prend pas volontiers la responsabilité. Le jeune homme s’éprend de la jeune fille qu’il a secourue ; il la suit, apprend son nom, et, charmé de lui tenir déjà par les liens du sang, il se présente directement chez Lucretia pour y retrouver Helen.

Ainsi la redoutable empoisonneuse les tient tous les deux sous sa main. Inutile de dire qu’elle favorise leurs entrevues, qu’elle fomente leur amour naissant. Son but ne lui est pourtant pas encore très clairement défini. Tout d’abord même, en la voyant réchauffer sa vieillesse auprès de ces jeunes ardeurs, qu’elle semble contempler avec un attendrissement