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lumières ruisselaient encore aux vitres des magasins et des cafés. M. d’Esparon croyait entendre des voix confuses lui répéter avec Mme de Dienne : Restez ! « Quitter tout cela ! se disait-il ; abdiquer demain être oublié dans six mois Et pourquoi ? pour un semblant de vertu et de bonheur, qui ne peut plus être ni le bonheur ni la vertu ! » Il rentra, triste et indécis ; on lui dit que son fils l’avait précédé de quelques minutes et s’était brusquement enfermé. Octave ne sut trop s’il devait essayer de le voir et de lui parler ; il se dirigea furtivement jusqu’à sa porte : on apercevait au-dessous une raie lumineuse qui prouvait qu’Albert veillait encore. M. d’Esparon prêta l’oreille et crut entendre le cri d’une plume courant sur le papier ; il n’osa frapper. Trop mécontent de lui-même pour pousser plus loin sa tentative, il revint sur ses pas, plus agité, plus irrésolu que jamais. Le lendemain, à son réveil, il sonna et demanda son fils. On lui annonça qu’il était parti à la pointe du jour. M. d’Esparon ne comprit pas d’abord ; il sauta à bas de son lit, s’habilla à moitié, et courut à l’appartement d’Albert : il n’y avait plus personne. À mesure que la vérité se révélait à Octave, un tremblement nerveux s’emparait de lui ; il parcourait dans tous les sens les deux ou trois pièces dont se composait cet appartement. Tout le mobilier était intact ; chaque objet avait été soigneusement remis à sa place ; les habits qu’Albert, par ordre de son père, avait commandés à Paris, étaient exactement rangés dans les placards. Le jeune homme n’avait emporté que le mince et modeste bagage avec lequel il était venu.

En continuant ses recherches, M. d’Esparon aperçut enfin une lettre qu’Albert avait laissée sur sa table de travail ; il se jeta dessus, déchira l’enveloppe et lut ce qui suit :

« J’ai prié Dieu qu’il m’inspirât ce que j’avais à faire ; je le prie maintenant d’écarter de ma plume tout ce qui ne serait pas d’un fils respectueux et soumis. Pardonnez-moi donc si je pars sans vous ; pardonnez moi si cette lettre conserve quelque trace de sentimens que je repousse et que je renie.

« Je pars ; j’ai craint que votre résolution d’avant-hier ne fût le résultat d’une exaltation factice, et par conséquent passagère. J’ai craint qu’il ne vous fût trop pénible, à cause de moi, de revenir sur une décision dont vous vous repentiriez plus tard. J’ai pensé que mon départ vous épargnerait à la fois l’embarras d’un instant et les regrets de toute la vie.

« Comment avais-je pu m’abuser à ce point ? Renoncer pour nous aux succès, aux plaisirs, à tout ce qui rend voire vie si brillante, si enviée, c’eût été trop. Dans une heure d’entraînement que je regarde au-