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poser dans ce que tous appelez de si beaux noms : si vous saviez quel fonds immense de stérilité et d’amertume se cache sous ces jouissances factices, sous ces succès passagers ! L’imagination est une fée malfaisante qui se plaît à détruire son propre ouvrage ; l’idéal est une forme trompeuse qui cesse d’être dès qu’on y touche ! l’orgueil est un abîme où s’absorbe et se dessèche tout ce qu’on y jette pour le combler ! M. d’Esparon semblait s’enivrer de ses douloureuses confidences : Ah ! reprit-il en regardant son fils, pourquoi m’avez-vous donné, outre la joie de vous revoir, celle de me sentir aimé ? Pourquoi ce charme de plus, maintenant qu’il faut tout perdre ? Malheureux ! je ne puis accuser que moi-même ! C’est moi qui devais prévoir ce qui me frappe aujourd’hui : regrets inutiles, il est trop terd !

— Et s’il n’était pas trop tard ? dit Albert comme illuminé d’une idée soudaine ; s’il était temps encore d’obéir à la voix de Dieu, à la prière d’un fils, de rendre un peu de joie à celle qui est restée pendant tant d’années dans la solitude et l’oubli ?

— Quoi ! que dites-vous ? Croyez-vous donc que ce soit possible ?.…

— J’en suis sûr.

— Je pourrais encore reprendre ma place à ce foyer que j’ai fui, ma place dans ce cœur que jai blessé ?

— J’en réponds.

— Eh bien ! s’écria M. d’Esparon, qui semblait céder à un entraînement surhumain, eh bien ! vous l’emportez. Meure dans mon sein ce démon qui m’égare ! meurent ces ambitions que rien n’assouvit, ces rêves que rien ne réalise, ces éternelles inquiétudes qui se servent à elles-mêmes de pâture et de tourment ! Je m’attache à vous comme à mon sauveur : vous partez pour Blignieux ; Albert, partons ensemble !… Albert poussa un cri ; tous les doutes qu’il combattait depuis vingt-quatre heures tombèrent en un instant ; en un instant, il reprit plus de confiance et d’amour pour son père qu’il n’en avait jamais ressenti : — Ah ! dit-il l’œil rayonnant d’une joie divine, je savais bien qu’on vous calomniait ! je savais bien que vous étiez le plus noble, le plus généreux des hommes ! Et il ajoutait, tout en embrassant M. d’Esparon : — Quel bonheur que le colonel ne m’ait pas tué !… Il y eut encore là pour tous deux quelques belles et douces heures. Comme Albert voulait partir sans délai, ils commencèrent sur-le-champ leurs préparatifs de départ ; ils s’en occupèrent ensemble, Albert avec une joie et un entrain charmant, Octave avec tant de vivacité et de hâte, qu’on eût dit qu’il évitait de réfléchir ou qu’il craignait d’hésiter. Il fut convenu qu’ils partiraient le surlendemain, et que Louis, le valet de chambre du comte, resterait quelques jours de plus à Paris pour terminer les derniers arrangemens.

Ces préparatifs les occupèrent encore le lendemain une partie de la