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bert lui prouva sans peine qu’en pareille circonstance il n’y a rien de mieux que d’épargner à ceux qui nous aiment l’horrible douleur de savoir d’avance ce qu’il n’est plus temps de prévenir, ou la triste envie de mettre obstacle à ce qu’ils ne sauraient empêcher. M. d’Esparon, qui l’écoutait avec une sorte d’admiration inquiète, frémissant encore du danger passé, finit par convenir qu’il avait raison. Sa pensée prit alors un autre cours, et une question bien naturelle arriva sur ses lèvres :

— Quelle était, demanda-t-il, la cause de ce duel ? Le jeune homme regarda son père et se tut. Ses douleurs, un moment oubliées, recommençaient. M. d’Esparon répéta sa question avec plus de chaleur, et, à l’embarras des réponses d’Albert, il comprit bientôt qu’il s’agissait de lui-même.

— Et que disait-on de moi ? reprit-il après un moment d’hésitation.

— Ce que le fils de Mme  d’Esparon ne devait pas entendre ; ce que le fils de M. d’Esparon était forcé de relever.

Octave rougit et se mordit les lèvres ; mais il était en ce moment sous l’influence d’un sentiment trop sincère pour ne pas faire bon marché de lui-même, et, ne songeant qu’à son fils, il mesura d’un œil épouvanté les périls et les chagrins auxquels cette susceptibilité chevaleresque exposait Albert.

— Ah ! dit-il enfin, c’est moi qui suis coupable ; j’aurais dû le prévoir : j’aurais dû penser que ce que j’essayais était impossible, que vous étiez trop pur pour l’air que nous respirons ici !

Albert avait espéré que son père se défendrait avec indignation ; il attacha sur lui un regard de reproche, puis il ajouta :

— Ainsi donc vous me trompiez ?

— Et le sais-je moi-même ? N’avais-je pas oublié, en vous revoyant, tout ce qui n’est pas vous ? Avais-je un autre but que de vous retenir ? Et maintenant, que faire ? Chaque fois que je vous verrai sortir, chaque fois que vous passerez quelques heures loin de moi, je serai dans des transes mortelles… Albert ! Albert ! cher et cruel enfant, pourquoi n’avoir pas plus de pitié de votre père ?

— Rassurez-vous, répondit Albert en affermissant sa voix, cette inquiétude et ces périls ne seront pas de longue durée ; je viens vous demander la permission de retournera à Blignieux…

— Partir ! vous, me quitter ! s’écria le comte en pâlissant.

— Il le faut ; le charme que j’ai trouvé auprès de vous ne doit pas me faire oublier une autre affection, d’autres liens… M. d’Esparon resta un moment la tête appuyée dans ses mains ; quand il la releva, le regard qu’il fixa sur son fils était empreint d’une telle, tristesse, que le pauvre Albert sentit sa résolution chanceler.

— Oui, reprit Octave, je sais bien que je n’ai pas le droit de vous retenir malgré vous. J’avais espéré… il me semblait… cette vie était si