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sur ses tempes ; son regard vif, sa taille élégante, complétaient l’illusion. Albert, qui ne pouvait distinguer ce qu’il y avait de fatigue réelle sous cette jeunesse factice, fut frappé, en même temps que lui, d’une idée qui leur sourit à tous deux : c’est que M. d’Esparon semblait être le frère aîné de son fils, à qui, grâce à son air de vigueur et à l’expression réfléchie de ses traits, on eût pu réellement donner trois ou quatre ans de plus que son âge. Cette idée, qui autorisait entre eux plus de familiarité et d’abandon, rendait plus gracieuses encore les séductions que déployait Octave, et dont la coquetterie un peu féminine eût vaincu même des préventions ou des répugnances, si Albert en eût apporté ; c’est là ce que le comte avait craint. Aussi quelles ne furent pas sa surprise et sa joie, lorsque cinq minutes d’attention lui eurent fait comprendre que ce fils, dont il croyait avoir à reconquérir l’affection, ne demandait au contraire qu’à l’aimer !

— Cher enfant, disait-il, on ne t’a donc pas appris à me haïr ? Et, pour toute réponse, Albert encouragé lui sautait au cou. Lorsque les émotions de cette première entrevue se furent un peu calmées. Octave conduisit son fils dans l’appartement qu’il lui destinait. Albert, dont les yeux ne s’étaient jamais arrêtés que sur le maigre ameublement de Blignieux, se crut transporté dans le pays des fées, lorsque son père, après avoir traversé avec lui une galerie remplie de fleurs rares, le fit entrer dans un charmant petit pavillon indépendant du corps de logis. Il y avait rassemblé, non pas avec la profusion d’un financier, mais avec le tact d’un homme du monde et la recherche d’un artiste, tout ce qui pouvait flatter, chez Albert, un goût, un sentiment ou un souvenir. Ainsi de belles armes de toutes les époques y confondaient leurs entrelacemens pittoresques avec des touffes de camélias et d’orchidées. Au-dessus d’un joli piano de Roller, une étagère en ébène renfermait une centaine de volumes, choisis parmi les meilleurs de toutes les littératures, et un tableau de religion d’un vieux maître espagnol faisait face à une vue de Blignieux, peinte par Paul Huet, dont le poétique pinceau avait tiré un admirable parti de cette nature pauvre et attristée.

— Albert, dit M. d’Esparon, c’est ici que vous logerez. Depuis que j’ai l’espoir de vous revoir, j’ai pris plaisir à tout arranger moi-même ; il n’y a pas un meuble, pas un objet, que je n’aie choisi. Serai-je assez heureux pour que tout vous plaise, et pour que, vous trouvant bien ici, vous désiriez y rester long-temps ?…

— Ah ! dit Albert, vous êtes trop bon pour moi : j’aimerai toutes ces belles choses, parce qu’elles me viennent de vous ; mais je n’en avais pas besoin pour que cette heure fût la plus belle de ma vie.

— Vous m’aimez donc ?

— Oh ! mon père !…