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SCÈNES DE LA VIE MEXICAINE.

eut bientôt rejoints. Le costume du nouveau venu était aussi riche qu’élégant. Un chapeau à larges bords avec son enveloppe de toile cirée, une toquilla en perles de Venise, un dolman de drap, dont on voyait les manches richement bordées de soie sortir des plis de la manga violette rehaussée d’ornemens de jais ; de larges pantalons flottant sur les étriers, composaient ce pittoresque costume, vraie tenue de salteador en campagne. Un cheval digne d’un pacha, l’œil étincelant, les naseaux dilatés, le col arqué, la queue ornée de larges rubans rouges, faisait vibrer, à chacun de ses mouvemens, une longue et flexible lame de Tolède, dont le fourreau, délicatement ciselé, battait ses lianes. Une courte carabine se balançait du côté opposé de la selle. Les bandits n’avaient pas attendu que le cavalier laissât tomber les plis de la manga qui cachait en partie sa figure, pour se découvrir et saluer leur chef. Ils lui rendirent compte de ce qui s’était passé en pur castillan, car l’argot des truands espagnols est inconnu au Mexique.

— C’est bon, dit froidement le salteador ; allez chercher le corps où vous l’avez laissé.

Un des bandits s’éloigna et revint, quelques minutes après, traînant au bout de son lazo le cadavre du Santucho. Quoique frappé de deux coups de feu, le malheureux respirait encore.

— Fouillez-le, dit le chef.

Un des deux hommes descendit de cheval, le Santucho sembla faire un mouvement pour se défendre ; mais ce mouvement fut presque imperceptible. Des poignées de piastres, de réaux, de menue monnaie, furent retirées de ses poches : c’était le fruit de ses vols de la nuit qui lui coûtaient si cher. L’homme qui l’avait fouillé interrogeait son chef du regard. Sur un signe il alla détacher les malheureux captifs que la terreur semblait paralyser. Sur un autre geste, le bandit éparpilla devant eux les piastres trouvées dans les poches de son camarade. Et, voyant les marchands se précipiter sur l’argent qui leur était ainsi rendu, le Santucho fit un mouvement convulsif, puis resta immobile. Cette fois il était mort ; le désespoir de se voir dépouillé l’avait achevé.

— Chargez ce corps sur vos épaules, dit impérieusement le chef aux marchands, qui cherchaient encore dans le sable ensanglanté les dernières pièces de monnaie, et remettez-le à l’alcade de ma part. Il l’avait voulu vivant, je le lui envoie mort ; il comparera sa justice à la mienne.

Les marchands obéirent, et, tandis que le funèbre cortége s’éloignait lentement, le salteador me dit avec un sourire presque hautain :

— J’avais juré de punir ce misérable, comme de faire trembler les juges de ce pays damné, où l’on trafique de la justice : vous voyez que mes deux sermens ont été tenus. J’en ai fait un troisième que vous connaissez, seigneur cavalier, ajouta-t-il en saluant M. D… je vous sou-