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la liberté complète ; ils y ont été conduits par la force irrésistible de la raison. L’échelle mobile ne pouvait plus se maintenir, bien ; mais un droit fixe pouvait-il être fixe absolument ? Aurait-il subsisté alors même que le blé aurait, par hasard, atteint un prix de famine ? Ainsi, avec le droit fixe pris à la lettre, on venait buter contre une autre impossibilité. C’est, en effet, ici la grande supériorité de la liberté, que, hors d’elle, tout devient impossible à soutenir pour les seules circonstances dont il faille se préoccuper beaucoup, celles où la subsistance publique est compromise. Du moment que les Anglais quittaient le terrain sur lequel avaient été débattues les autres lois des céréales, celui où l’aristocratie f disait, comme le roi des animaux dans la fable

C’est que je m’appelle lion,


un argument tiré des notions les plus justes du droit constitutionnel, du droit humain, rendait inévitable le triomphe de la liberté du commerce des grains ; c’est celui avec lequel la ligue a mis en mouvement et captivé le royaume-uni, où d’abord elle excitait une dédaigneuse indifférence : De quel droit les nobles, propriétaires des terres, prélèvent-ils une taxe sur notre pain quotidien ? Cet argument des Cobden et des Bright, admis par Peel, accueilli par le chef de l’aristocratie, Wellington, est passé dans la législation, et voilà comment l’Angleterre a fait sa réforme commerciale.

Chez nous, malgré la différence des situations, il est difficile que l’échelle mobile n’ait pas le même sort dans un assez bref délai. La liberté du commerce des grains, une fois établie en Angleterre, a une réaction nécessaire sur nous. Je ne parle point de l’entraînement de l’exemple, quoique ce soit un mobile de quelque puissance ; mais le système dans lequel l’Angleterre est entrée pour les grains modifie les conditions de vente pour nos propriétaires et à leur profit. C’est pour eux, en effet, une cause de hausse, une garantie contre la baisse en temps ordinaire, En retour, le public est fondé à demander d’eux qu’ils consentent à-ce que, en vue des années de faible récolte, le consommateur ait contre la cherté la seule garantie qui soit valable, celle de la liberté.

Les grands intérêts qui pouvaient s’opposer à ce que la législation française sur les céréales fût changée sont ceux des départemens du nord, qui vendent au midi l’approvisionnement dont il manque. Notre littoral de la Méditerranée est forcé de s’approvisionner en partie dans la Bretagne ou dans le nord-est, et c’est ce qui renchérit le pain dans les départemens placés à droite et à gauche des Bouches-du-Rhône ; mais, si le nord trouve habituellement un débouché en Angleterre pour son excédant, qui se plaindra que le midi mange du blé d’Odessa ?

La liberté produira chez nous ce qu’on en attend en Angleterre, la tenue du prix du blé : peu d’écarts en dessous et en dessus d’une certaine