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Mais l’esprit contraire à la liberté, prenant pour point d’appui des sentimens condamnables, avait réussi, plusieurs années avant 1831, à se faire, réserver un autre poste, qui on s’est flatté d’avoir rendu inexpugnable, dans notre législation des céréales. Jusqu’en 1819, l’entrée des grains dans le royaume de France était libre ; le gouvernement de la restauration, qui cherchait à fonder une aristocratie territoriale, imagina d’imiter la législation que l’aristocratie britannique avait imposée à son pays. Le commerce des grains était à peu près libre en Angleterre jusqu’en 1804. La loi de 1773 permettait l’importation moyennant le droit nominal de 6 pence (0 fr. 63 cent.) par quarter (2 hectolitres 9 dixièmes). L’exportation était favorisée sur une prime. De 1740 à 1751, le total des primes ainsi payées s’élevait à 1 st., environ 38 millions de francs. Quand les prix cependant avaient atteint un certain point, la sortie était prohibée ; mais, à la fin du XVIIIe siècle, l’Angleterre n’était plus en position d’exporter du blé : elle avait de la peine à se suffire. En 1804, la liberté du commerce extérieur des grains fut détruite, quant à l’importation ; le régime protecteur fut appliqué aux grains, et l’échelle mobile fit son apparition dans le monde. Tant que le blé vaudrait moins de 63 shillings le quarter (27 fr. 25 cent. l’hectol.), il devait y avoir un droit prohibitif de plus de 10 fr. par hectolitre (24 shillings 3 pence par quarter). Le blé devenant plus cher, le droit devait diminuer, suivant une progression très rapide. Ce régime dura jusqu’en 1815 ; mais alors, victorieuse au dehors, la puissante oligarchie de la Grande-Bretagne voulut profiter de sa victoire pour asseoir son monopole au dedans, et, dans le courant de l’année même, une loi fut votée qui ne permettait l’importation du blé que lorsque le grain indigène vaudrait au moins 80 shillings le quarter (34 francs 50 centimes l’hectolitre). En France, de même, on se proposa de tenir élevé le prix des grains d’une manière permanente par des dispositions douanières. Tel fut l’objet de la loi du 16 juillet 1819. Les deux pays depuis lors, dans la même pensée, modifièrent leurs tarifs sans en changer l’esprit. La France en particulier a fait quatre ou cinq lois des céréales, il faut le dire, de plus en plus restrictives au fond, quoique les dernières ne contiennent plus le mot de prohibition. L’idée fondamentale des deux législations française et anglaise, calquées l’une sur l’autre, était celle de l’échelle mobile qui, au premier abord, est en effet très séduisante. Quand le blé monte, le droit baisse ; si au contraire le blé tombe à bas prix, le droit se relève dans une proportion plus forte. On s’était flatté d’assurer ainsi l’approvisionnement en cas de disette et de garantir l’écoulement des excédans qu’on pouvait avoir pendant les bonnes années. Le blé et le pain allaient avoir une sorte de prix fixe, et l’on s’en applaudissait beaucoup, non sans raison, car il n’y