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influences du moment ? Si la mode d’aujourd’hui n’est autre chose que le rococo de l’avenir, il faut bien reconnaître, sans trop d’irrévérence à l’égard du génie, que des ouvrages écrits il y a tantôt vingt-cinq ans par un des hommes qui ont le plus sacrifié à la mode peuvent ne point répondre absolument au goût de notre époque. Un poète d’infiniment d’esprit, forcé, à l’occasion d’une édition Charpentier, de relire ses vers d’il y a dix ans, s’écriait : « Bon Dieu ! que tout cela me parait devenu ponsif ! » Je me demande si Rossini, feuilletant ses papiers de jeunesse à propos de cet infortuné Robert Bruce, n’en a point dit autant ; mais, d’abord, Rossini a-t-il seulement rien feuilleté ? Est-ce à nous qu’on fera croire désormais que cette colossale indifférence ait un instant fléchi ? Avant la représentation, vous pouviez en prendre à votre aise et nous parler de concessions obtenues, d’un ouvrage, sinon entièrement nouveau, du moins composé avec l’assistance du maître. Cependant la vérité devait apparaître au jour de l’événement ; et devant une si incontestable évidence tombent tant d’illusions auxquelles on avait bien pu finir par croire soi-même, mais dont il faut convenir que le public s’était toujours fort défié.

Sans donner dans l’ambitieuse promesse d’un ouvrage presque nouveau de Rossini, encore espérait-on rencontrer çà et là quelque trace de la présence du maître. Vain espoir que la représentation de Robert Bruce a trompé ! Rien, en effet, en dehors des morceaux empruntés à diverses partitions de l’auteur de la Donna del La go, rien qui rappelle le moins du monde la touche d’un génie supérieur. Le nom même de M. Niedermeyer, venu là pour ajuster les récitatifs et manipuler selon les formules ayant cours des idées d’un temps déjà loin de nous, le nom de M. Niedermeyer n’indique-t-il pas que Rossini s’est fait un devoir de rester étranger à cette partie intermédiaire, accessoire, qui, dans une élucubration de ce genre, constituait, à tout prendre, la seule nouveauté possible ?

Cela dit, et la partition de Robert Bruce étant réduite à ce qu’elle est : un assemblage plus ou moins intelligent de fragmens hétérogènes, de morceaux disjoints, de cavatines, de duos et de quatuors écrits jadis pour des chanteurs qui ne sont plus et dont la tradition elle-même s’est évanouie, on concevra sans peine quelle charmante unité de sentiment et de composition il en doit résulter. Nous n’oserions, quant à nous, appeler pareille chose un opéra. Avec des chanteurs d’un ordre supérieur, ce serait un concert ; qu’est-ce donc dans les conditions existantes ? Franchement, on ne saurait le définir : une sorte de mélodrame à grand orchestre, de parade musicale d’où se détache, au second acte, ce magnifique chœur des bardes, exécuté, hâtons-nous de le reconnaître, avec une pompe lyrique et théâtrale digne des plus beaux temps de l’Opéra. Je regrette seulement, puisqu’on était en train de ne pas s’épargner les frais de mise en scène, qu’on ait négligé d’augmenter le nombre des harpes dans l’orchestre. Pourquoi pas huit harpes au lieu de quatre ? De la sorte l’effet, déjà si beau, eût touché au sublime. Si de l’ensemble de l’ouvrage nous passons aux détails, combien d’altérations, de mutilations et de ravages n’ont pas fait subir à toute cette musique les caprices d’une disposition arbitraire et d’une exécution presque toujours à contre-sens ! Aucune des intentions primitives n’a été respectée, aucun texte ménagé. Ce qui chantait l’amour et la tendresse chante désormais la fureur, la plainte du vieillard moribond est devenue l’hymne d’un héros. Robert Bruce, s’apprêtant à donner la liberté à l’Écosse, ne trouve rien de mieux