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chaleureuse, puissante, pensée avec vigueur et vigoureusement écrite. Le trio du second acte doit compter parmi les meilleures compositions du maître. Nuancé, pathétique, entraînant, avec un peu plus de franchise dans les motifs et de développemens dans sa période finale, ce morceau s’élèverait à la hauteur de l’admirable trio du troisième acte d’Ernani. Je citerai encore la cavatine du doge au dénoûment, large et touchante inspiration dont Coletti a su magnifiquement tirer parti. Notons à ce propos le singulier essor que la noix de Coletti a paru prendre tout à coup ce soir-là, au grand étonnement du public ; c’était à ne pas reconnaître le chanteur embarrassé, presque médiocre, qu’on avait entendu la veille dans Assur. Et maintenant nous comprenons tout ce qu’il a fallu de résignation à Coletti pour consentir à débuter par la Semiramide. Que le plus ou moins de convenance d’un rôle puisse ainsi réagir sur l’entière physionomie d’un chanteur, c’est à peine si on le conçoit, et cependant rien de plus vrai. Cet organe, hier empâté, mou, incolore, soudain se relève et vous étonne par sa triomphante plénitude ; la mollesse devient agilité, l’hésitation puissance. On croirait voir Sixte-Quint rejetant sa béquille. C’est une chose triste à dire, sans doute, mais qu’on ne peut cependant s’empêcher de reconnaître : avant peu, la musique de Rossini sera devenue une lettre morte. De jour en jour les chanteurs italiens la désapprennent, et, s’il fallait une preuve nouvelle de cette vérité, l’exemple de Coletti nous la fournirait. Conclurons-nous de là que les générations s’abâtardissent, et que l’art divin, abandonnant notre ingrate terre, s’apprête à remonter vers le ciel, son immortelle patrie ? Pas le moins du monde ; nous tenons au contraire qu’un Lablache vaut un Barilli, que Ronconi ne le cède à Pellegrini ni pour la voix, ni pour l’intelligence, et qu’on peut parfaitement entendre Rubini même après Donzelli. L’art est à un bon point, a dit M. Hugo quelque part ; pourquoi le mot ne s’appliquerait-il pas à la musique ? De ce qu’il plaisait à Rossini de se croiser les bras, s’ensuivait-il que l’Italie entière dût se condamner au silence ? Nous ne le pensons point. Depuis la Zelmira et la Semiramide, les temps ont marché, et, si nous regardons derrière nous, nous verrons qu’un assez long espace nous sépare déjà du grand maître ; espace moins aride peut-être que bien des gens affectent de le penser, et dont la Norma, les Puritains, la Lucia, Nabucco marquent, non sans gloire, les divers stades. Rossini eut ses chanteurs : Davide, Nozzari, Gaili, la Colhrand, la Fodor et tant d’autres qui gagnèrent sous lui vingt batailles ; Bellini, à son tour, forma les siens, et, comme la musique de Bellini procédait déjà d’un sentiment de réaction, la réaction ne pouvait manquer de s’étendre aussi à la manière d’exercer la voix. Aux mille arabesques épanouies, aux feux d’artifice chromatiques de la roulade rossinienne, succéda le chant spanato, pathétique, de Rubini, lequel s’est modifié de maître en maître jusqu’à Verdi, qui semble vouloir lui communiquer plus de nerf et de rapidité chaleureuse dans le mouvement. Qu’on s’étonne ensuite de cette espèce de malaise que l’exécution des ouvrages de Rossini paraît causer à certains chanteurs contemporains. Il est au fond de toute œuvre d’art, poésie ou musique, peu importe, à côté de l’élément divin qui ne meurt pas, un élément terrestre, transitoire, qu’elle emprunte à ce qu’il y a au monde de plus passager, de plus incertain, au caprice des temps, à la mode. Or, si ces conditions existent pour la poésie et la peinture, que ne sera-ce point pour la musique, l’art le plus exposé, comme on sait, à subir les mille