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la guerre qu’avec épouvante. » La cour de Prusse, la famille royale, où dominait une reine passionnée, belle et remuante, le brillant prince Louis, neveu du roi, qui devait parer si cher sa belliqueuse ardeur, se livrèrent à l’influence, aux séductions de l’empereur Alexandre avec un entraînement contre lequel M. d’Haugwitz, avec toute son habileté, se trouva sans force. La politique de M. d’Haugwitz, qui avait consenti à sortir de sa retraite pour assister le roi de ses conseils avait toujours consisté à maintenir la Prusse neutre entre les deux partis européens et à tirer tout le profit possible de cette neutralité. Quand l’empereur Alexandre fut établi à Potsdam comme l’hôte de Frédéric-Guillaume, il obtint par ses obsessions que le roi abandonnerait cette neutralité pour interposer entre les puissances belligérantes une sorte de médiation armée, qui n’était qu’une adhésion déguisée à tous les projets de la coalition. L’Angleterre ne s’y trompa pas ; elle vit dans ce changement de la Prusse un événement capital qui pouvait décider du sort de l’Europe : aussi se hâta-t-elle d’apprendre au cabinet de Berlin qu’elle tenait des subsides à sa disposition, s’il voulait mettre en mouvement l’armée prussienne. Ici, nous trouvons dans le livre de M. Thiers un curieux détail qui arrive pour la première fois à la notoriété de l’histoire. Pour déterminer la Prusse, le gouvernement anglais ne pouvait, comme la France, lui proposer le Hanovre ; George III n’eût jamais consenti à abandonner un pays qu’il considérait comme son patrimoine. A la place du Hanovre, le cabinet de Londres offrit la Hollande ; c’était faire assez bon marché des droits d’un pays dont on prétendait que la France absorbait l’indépendance. En parlant de cette singulière ouverture du gouvernement anglais à la Prusse, M. Thiers ajoute qu’il fonde son assertion sur des pièces authentiques. La victoire d’Austerlitz vint redoubler les perplexités de Frédéric-Guillaume et de son gouvernement. Il faut lire dans notre historien les entrevues de M. d’Haugwitz avec Napoléon avant et après la bataille, sa nouvelle mission à Paris même, les perpétuelles tergiversations du cabinet prussien, qui accepte enfin le Hanovre sans cependant se déterminer à une franche alliance envers la France, l’embarras de Frédéric-Guillaume vis-à-vis la Russie et l’Angleterre, enfin l’état de l’opinion à Berlin, qui demande la guerre à grands cris. M. d’Haugwitz lui-même est entraîné. En vain il s’était flatté de diriger le mouvement en paraissant s’y associer ; illusion. Le roi lui-même est forcé de quitter Potsdam pour se mettre à la tête de L’année, et, le 21 septembre 1806, il partit pour Magdebourg. C’était une première étape vers le désastre d’Iéna. Toute cette histoire de nos relations diplomatiques avec la Prusse et des dispositions de son gouvernement est traitée par M. Thiers avec une mesure où il n’entre pas moins de tact que de fermeté, avec une modération qui n’ôte rien à la sagacité et aux droits de l’historien.