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SCÈNES DE LA VIE MEXICAINE.

entre eux une intimité évidente. Seulement l’alcade, sans doute par déférence pour son hôte, était assis sur un simple tabouret en roseaux.

— Seigneur alcade, lui dis-je, j’ai l’honneur de baiser les mains de votre seigneurie et de vous prier de prendre connaissance de ce papier ; mais peut-être, malgré l’urgence de l’affaire qui m’amène, suis-je importun dans ce moment ?

— Nullement, me dit l’alcade en tendant la main, ce cavalier et moi n’étions occupés qu’à causer d’amitié.

L’alcade parcourut des yeux le sauf-conduit que je lui avais présenté et me le rendit au bout de quelques minutes, en me disant :

— J’en suis fâché, mais vous venez trop tard, le cavalier dont le nom est mentionné dans cet écrit est déjà en prison.

— Je le sais, lui dis-je, mais c’est à tort.

— Et depuis quand la justice se trompe-t-elle ? reprit l’alcade d’un ton solennel.

Je me complus, dans ma réponse, à reconnaître l’infaillibilité de la justice mexicaine, et j’insistai pour obtenir l’élargissement de M. D…

— C’est impossible, reprit obstinément le magistrat ; suivez bien mon raisonnement. Ce sauf-conduit est postérieur en date à l’arrestation de votre compatriote, donc ce dernier est légalement incarcéré, et, malgré votre désir, je ne puis maintenant vous mettre à sa place. Tout ce que je puis faire pour vous, c’est de vous envoyer le rejoindre.

Je m’évertuais à faire comprendre à l’alcade le but de ma démarche, quand le personnage aux galons d’or intervint officieusement.

— Seigneur alcade, dit-il, vous vous méprenez sur l’intention de ce cavalier : son désir est de délivrer son compatriote, mais non de se faire mettre en prison à sa place ou de l’y aller rejoindre. C’est encore une méprise de vos alguazils que vous devriez casser aux gages.

— Il faudrait d’abord les leur payer, grommela l’alcade. Je puis faire mettre les gens en prison, mais je ne puis en faire sortir personne. Quant à mes alguazils, je leur ai donné carte blanche pour emprisonner ceux qui leur paraîtraient suspects, et, à une piastre par tête, que le prisonnier paie, bien entendu, leurs profits sont assez beaux pendant la durée de la foire. Ce moyen de les payer est de mon invention, ajouta glorieusement l’alcade.

La figure du proscrit parut se rembrunir.

— Ah ! ce moyen est de votre invention, dit-il ; alors je ne m’étonne plus si dans leur ardeur, ils ont arrêté le Zurdo[1] et le Santucho[2], pendant qu’ils accomplissaient leurs dévotions.

— Quoi ! balbutia l’alcade interdit, ces deux personnages sont de votre… connaissance.

  1. Le gaucher.
  2. L’hypocrite.