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Italiens regardaient en riant, pour voir, disaient-ils, si le limaçon sortirait de sa coquille. Cette vaine dispute de cérémonial devenait presque un casus belli, et le pape, pour se préparer à la guerre, levait… trois compagnies de milice ! La congrégation romaine de l’index approuvait des livres ou des doctrines que condamnait l’inquisition espagnole, et celle-ci, à son tour, en condamnait d’autres approuvés par Rome. Ces dissidences étaient de nature à compromettre gravement le principe de l’infaillibilité, et Rome se trouvait placée entre ce double embarras : sauver le principe et ménager l’inquisition ; car elle craignait de se commettre avec un tribunal aussi résolu et aussi formidable. C’étaient là sans doute des questions fort secondaires auprès de celles qui s’agitaient au temps de Grégoire VII et de Boniface VIII, mais elles présentent bien aussi un certain intérêt historique, en ce qu’elles montrent la distance qui sépare la papauté du XVIIe siècle de la papauté du moyen-âge. Les diplomates ont remplacé les théologiens ; il ne s’agit plus de dominer l’Europe, mais de s’en faire accepter, et dans les moindres choses on voit percer l’esprit qui depuis deux siècles a dirigé en toute circonstance la politique romaine, cette politique fière dans les mots, timide dans les actes, ménageant tout, excepté ses propres sujets. Rome montrait encore parfois, mais sans oser le tirer du fourreau, le glaive de l’anathème, son arme et son sceptre aux époques de terreur mystique. Elle menaçait, mais en tremblant ; elle avait d’ailleurs laissé surprendre le secret de sa faiblesse, et ceux qui connaissaient son esprit savaient qu’il fallait « crier, se plaindre et se faire craindre, » pour en obtenir quelque chose. L’ambassadeur d’Angleterre, fidèle aux habitudes diplomatiques de sa nation, usait largement de cette tactique, et l’ambassadeur de France, tout en témoignant de grands égards au saint père, ne laissait pas cependant de parler haut et ferme. La déclaration du clergé français, en 1682, avait amené, comme on le dirait de nos jours, un refroidissement entre la cour pontificale et la cour de Versailles, et la Correspondance inédite donne sur cette affaire une foule de détails nouveaux. Les cardinaux romains essayèrent d’abord de rétorquer, avec les seules armes de la science ecclésiastique, ce qu’ils appelaient les prétentions hérétiques de l’église gallicane ; mais les plus hardis eux-mêmes ne combattaient qu’avec timidité, dans la crainte, dit Michel Germain, de faire des pas de clercs ou plutôt d’ignorans à la vue de toute la France ; puis le pieux gallican ajoute : « De même qu’un abbé allemand me disait, il y a deux ans plus ou moins, que le roi, les tenant en exercice, était cause qu’on ne buvait plus, dans son pays, la moitié du vin qu’on y prenait auparavant, — on peut dire aussi que nos différends avec cette cour empêchent les esprits des Romains de croupir dans cette léthargie ou fainéantise, far niente, qui fait une partie de leur bonheur, quand leur intérêt ne trouble pas leur repos par une agitation et une application aux études pesantes. » Malgré leur application, les cardinaux ne fournirent qu’un faible contingent d’argumens et de preuves, et l’histoire de cette querelle offre cela de remarquable, que les plus ardentes défenses de l’ultramontanisme furent écrites en France et par des Français ; pourtant le triomphe resta aux gallicans, qui se tenaient renfermés dans la tradition du droit historique. Du concile de Constance ils remontaient jusqu’au IXe siècle, au concile de Paris, qui le premier, en 829, avait établi, pour le royaume, la séparation des deux pouvoirs ; ils rappelaient la réponse d’Hincmar à la menace qu’avait faite le pape de venir en France excommunier