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siastique, ni, etc. ; mais je sais vivre à la cour. » S’il en était ainsi des cardinaux, qu’était-ce donc des moines ? Dom Michel cite des religieux du Mont-Cassin qui avaient 50,000 livres en bourse, dont ils se servaient « pour avancer dans les charges et pour beaucoup d’autres choses qu’on n’ose pas marquer. » Un procureur de cette congrégation dépensait en dix-huit mois plus de dix mille écus de dîners, et les généraux de l’ordre, en sortant de charge, emportaient de quoi faire bâtir des couvens, des monastères enchantés. Dans un grand nombre de maisons, les religieux disaient matines avant souper, portaient des bas de soie, mangeaient gras, sortaient seuls ; et, s’ils communiquaient volontiers leurs livres aux savans français, ils se gardaient bien de leur faire goûter leur vin, par avarice, et peut-être aussi dans la crainte de se compromettre en montrant leurs caves d’ordinaire bien garnies, ce qui faisait dire à je ne sais quel cardinal, à propos d’un moine de sa connaissance : Bone Deus, hic non potest vivere sine bibere semper. On avait, à différentes reprises, tenté de combattre ce relâchement ; mais il en était alors en Italie de la réforme monacale, comme aujourd’hui de la conversion politique du gouvernement romain : pour l’accomplir, il eût fallu des miracles, car, dès qu’il s’agissait de toucher aux abus, le pape se trouvait en opposition avec son clergé. Ainsi, en 1685, les carmes avaient à choisir un nouveau général : le saint-père porta sur la liste des candidats, en le recommandant, un Flamand des pays nouvellement conquis par le roi de France, le père Séraphin, très honnête homme, dit dom Michel, et très affectionné à la nation française ; mais, comme sa conduite était fort régulière et fort exacte, les Italiens se gardèrent bien de le choisir. S’agissait-il de donner le chapeau à quelque évêque français ; M. de Beauvais, par exemple, était-il sur le tapis : les répugnances du saint-père étaient si vives, et il prenait si peu de soin de les déguiser, que les gens qui s’intéressaient à l’affaire, craignant de voir ajourner indéfiniment les promotions, allaient en pèlerinage faire des vœux pour « aider le bon prélat à entrer au plus tôt en paradis. » Cette animosité, cette dureté du pape à l’égard de la France, irritaient Michel Germain. «  Cela, dit-il, tournera contre sa sainteté et l’église elle-même. » Et, pour faire la leçon sévère et même menaçante, il exalte en toute occasion la supériorité de l’église gallicane, en promettant aux ultramontains qui voudraient l’attaquer par la science ecclésiastique que la France ne manquerait pas d’habiles gens pour leur relever la moustache.

La Correspondance inédite n’est pas moins sévère pour les reliques apocryphes, les miracles suspects, l’exploitation effrontée de la crédulité populaire, et ce n’est pas sans raison que quelques plaisans du xviie siècle comparaient Mabillon et ses doctes disciples au docteur de Launoy, ce grand dénicheur de saints, comme l’appelait Bayle, que le curé de Saint-Eustache saluait du plus loin qu’il pouvait l’apercevoir, « de peur, disait-il, qu’il ne m’enlève aussi mon saint, qui ne tient presque à rien. » L’étrange cérémonie qui se faisait à Rome lors de la fête de saint Antoine excitait la verve de dom Michel, qui avait assisté à la fête. « Vive saint Antoine ! dit-il ; la procession des chevaux, des ânes et des mulets, qui vont tous, sans aucune exception, recevoir de l’eau bénite le jour de la fête, vaut plus de mille écus, sans compter dix-sept vieilles bêtes, chevaux et ânes, dont on fit présent à ces bons pères. Tout Rome s’empresse d’aller voir cette cérémonie. Les bêtes chevalines, ornées de rubans, pas-