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MABILLON ET LA COUR DE ROME.

Tout occupé des antiquités chrétiennes, le pieux bénédictin, dans le Museum Italicum et la Correspondance inédite, semble oublier les païens et les vivans. Il marche à travers la foule, emportant dans son ame le silence de son cloître, et c’est cette absence même de toute espèce de pittoresque transalpin qui fait l’originalité du voyage, car le voyageur ne parle qu’une seule fois du soleil et de la beauté du climat, à propos de Naples, qui lui rappelle ce doux vers de Virgile :

Ver ibi perpetuum…

une seule fois des femmes, en passant à Terracine, pour remarquer qu’elles donnent l’idée de la mort à ceux qui ont le courage de les regarder, et du Vésuve pour s’indigner du nom de lacryma Christi qu’on donne au vin récolté sur ses flancs. Quant à Michel Germain, plus curieux de voir et d’observer, il consigne au courant de la plume, dans les lettres adressées à ses amis de Saint-Germain-des-Prés ou à ses hôtes de l’Italie, les sensations qu’éveille en lui l’aspect de cette terre de Saturne devenue le domaine de saint Pierre. Sa première exactitude est de transmettre des détails sur les découvertes faites dans les archives et les bibliothèques, et il parle à plusieurs reprises de l’étonnement que causait aux Italiens l’ardeur que dom Jean et lui-même apportaient au travail. « Tous nos messieurs, dit-il, qui nous regardaient faire, ne nous considéraient pas autrement que comme des soldats français qui montent à l’assaut. En effet, il y faisait chaud, et l’on me prenait quasi pour un cordelier, tant nos habits étaient gris de poussière. » Malgré sa modestie bien sincère, l’humble et savant bénédictin jouissait comme d’un véritable triomphe de cette surprise des étrangers ; en bon fils de l’église gallicane, il gourmande malicieusement les ultramontains de se laisser dépasser par leurs voisins les Gaulois, et, par un raffinement d’orgueil national, il prend pour confident de ses reproches l’un des hommes les plus savans de l’Italie, le maître de Muratori et de Scipion Maffei, Magliabechi, bibliothécaire du grand-duc de Florence. « Les principales difficultés qui se rencontrent dans chaque siècle sur l’histoire et la tradition de l’église auraient bien de quoi, lui dit-il, faire exercer messieurs vos virtuosi, s’ils avaient le goût tourné à savoir à fond la religion et la doctrine de l’église, comme nous autres Français en faisons nos délices et le capital de nos applications ! Vos grands génies rendraient un service incomparable à l’église, et se rendraient aussi vénérables à toute la terre, s’ils pouvaient se captiver, depuis l’âge de quinze ou seize ans jusqu’à soixante, pour approfondir ces matières, tandis que vos messieurs, payés la plupart pour cela, c’est-à-dire revêtus de gros bénéfices, songent à toute autre chose qu’à soutenir, par ces armes fortes et solides, les intérêts de leur mère qui les a rendus si grands et si illustres. Mais cet avis porte avec soi de la peine, peu d’avantage temporel et la privation des plaisirs de cette vie, chose difficile à persuader à bien des gens. » Dom Michel avait mis le doigt sur la plaie éternelle, le far niente. La haute aristocratie italienne était tombée au niveau de la plèbe de l’ancienne Rome, panis et spectacula : « Peu de bien si on ne peut en avoir beaucoup, mais jouir de ce bien et vivre sans s’incommoder et en prenant toutes ses aises, voilà le génie du pays… Un habile homme est celui qui, comme disait il y a quelque temps un cardinal, sa camminare… Je ne sais, disait-il, ni la théologie, ni l’histoire ecclé-