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que relevait sa charité envers les pauvres, il composait pour l’office de saint Adalhard, abbé de Corbie, des hymnes remarquables par leur latinité et qui furent adoptées par l’église. Vers 1661, il passa à l’abbaye de Saint-Denis et fut chargé de montrer le trésor aux étrangers et aux visiteurs. Comme il avait des scrupules sur l’authenticité de certaines reliques, il demanda à quitter cet emploi, alléguant pour raison qu’il n’aimait point à mêler la fable avec la vérité. Le motif n’ayant point paru suffisant, il fut, à son grand regret, maintenu dans sa charge de cicérone ; mais un jour il lui arriva de casser par maladresse un miroir qu’on regardait à Saint-Denis comme l’une des pièces les plus curieuses du trésor, et qui avait, disait-on, servi à Virgile pour se faire la barbe. Mabillon fut immédiatement remplacé et envoyé à Saint-Germain, près de dom Luc d’Achery, pour travailler au Spicilége. Dès ce moment, à côté de la vie monacale commence pour lui la vie scientifique, et cette vie est si fortement disciplinée, tous les instans en sont réglés de telle sorte que les heures en fuyant ne laissent jamais derrière elles un instant qui ne soit rempli. Collaborateur du Spicilége, éditeur des Vetera Analecta, des œuvres de saint Bernard et de Pierre de Celles, Mabillon se montra tour à tour un infatigable érudit, un théologien profond, un grand critique. Dans ces divers travaux, en effet, il ne s’agissait point seulement de reproduire des textes, il fallait souvent reconstituer ces textes mêmes, en trouver l’âge et la date, discerner les pièces authentiques des pièces apocryphes, dresser la chronologie, éclairer les documens originaux d’un commentaire perpétuel, et l’œuvre de l’éditeur ainsi comprise est une création véritable.

Le premier volume des Actes de l’ordre de Saint-Benoît, qui parut en 1668, révéla sous un nouveau jour la science de Mabillon, et l’on peut dire, en toute justice, que les discours qui se trouvent en tête de chaque siècle rappellent souvent l’ampleur majestueuse de Bossuet. Écrire l’histoire de l’ordre de Saint-Benoît, c’était retracer en partie l’histoire de l’église, et la société religieuse dans la première période du moyen-âge est liée si intimement à la société civile, qu’il fallait, dans cette vue générale, aborder de front les hautes questions. Mabillon, qui dirigea les recherches et rédigea en grande partie les discours placés en tête des volumes, resta toujours au niveau de l’entreprise. Dans l’introduction du premier siècle de l’ère bénédictine, qui correspond au Ve siècle de l’ère chrétienne, il trace l’histoire de la diffusion du monachisme en Occident, et, suivant pendant huit cents ans l’église à travers ses périls et ses triomphes, il la montre aux prises avec les traditions païennes, luttant ici contre les Sarrasins, là contre les hérétiques, réglant la discipline des mœurs par les conciles, cultivant le sol et sauvant les lettres par les monastères. Les vues du savant moine, en ce qui touche l’influence du christianisme et des ordres monastiques sur l’organisation de la société, ont été confirmées et développées dans l’Histoire de la Civilisation en France, et c’est là certes le plus sûr éloge qu’on puisse en faire. Des dissertations sur les sujets les plus divers, sur le droit civil et canonique, la liturgie, les mœurs, les superstitions, l’état des lettres, complètent le tableau général ; tout est disposé avec un ordre, une clarté admirables, discuté avec un calme qui n’appartient qu’à des hommes apaisés par la solitude et le renoncement, et on reste surpris, après avoir fermé le livre du bénédictin, de trouver tant de force et d’indépendance dans la critique, tant de soumission dans les choses de la foi, tant de science sans vanité, sans ambition de renommée, et, à côté du savant,