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MABILLON ET LA COUR DE ROME.

érudits du XVIIe siècle, d’en rappeler quelques traits, et nous nous arrêterons de préférence à l’un des épisodes les plus marquans, le voyage d’Italie en 1685 et 1686. Le récit de ce voyage, entrepris sur un ordre de Colbert, fut consigné par Mabillon et les bénédictins qui l’avaient accompagné dans le Museum Italicum ; mais, à côté de cette relation tout officielle, il y a la correspondance intime avec les savans français et les savans italiens, et, comme toujours, on trouve dans les lettres ce qu’on chercherait vainement dans les livres, les jugemens sans réticence, les impressions naïves, les confidences aventureuses.

Cette correspondance, long-temps ignorée, a été enfin tirée de l’oubli et mise en lumière, grâce aux investigations de M. Valery, le savant bibliothécaire du palais de Versailles. Les bibliothèques de Rome, de Florence, du Mont-Cassin, ainsi que les dépôts publics de Paris et plusieurs collections particulières, ont fourni à M. Valery plus de quatre cents lettres signées de Mabillon, de Montfaucon, et de la plupart des hommes éminens de la congrégation de Saint-Maur. Ces lettres sont complétées pour ainsi dire par les réponses des savans italiens, et, comme le dit avec raison M. Valery dans une préface remplie d’appréciations judicieuses, elles présentent dans leur ensemble une véritable chronique littéraire de Paris, de Florence et de Rome. Complément désormais indispensable des Nouvelles littéraires et du Journal de Trévoux, elles tiennent sagement le milieu entre la critique des protestans et la critique des jésuites. Elles sont précieuses en ce qu’elles nous font connaître, dans leur intimité bienveillante, ces bénédictins de l’école française, fervens dans leurs croyances comme des moines de la primitive église, mais polis dans leur élégante simplicité comme les grands seigneurs de Versailles, soumis au pape, mais dévoués à leur pays, respectueux pour la tradition, mais toujours prêts à défendre la vérité historique. Elles sont précieuses, car on y voit, trois ans après la déclaration de 1682, la cour de Rome jugée par les prêtres les plus orthodoxes et les plus saints de l’église gallicane. Elles sont précieuses enfin en ce qu’elles montrent quelle était, dans les ordres savans, la vie du cloître au XVIIe siècle. Les individus disparaissent en quelque sorte, et l’on n’y trouve qu’une seule et même famille, disciplinée mieux qu’une armée, qui poursuit sans relâche et sans repos les mêmes études. C’est le chapitre général de l’ordre qui donne les sujets à traiter ; ce sont les abbés qui donnent à chacun sa tâche. Comme le chant perpétuel, la laus perennis des premiers âges chrétiens, le travail ne s’interrompt jamais ; la mort elle-même ne saurait le ralentir, car une génération nouvelle est toujours là pour succéder à la génération qui décline, et, comme sur le champ de bataille, celui qui tombe est aussitôt remplacé. Chacun poursuit son labeur avec calme, avec sérénité, sans empressement et sans passion, comme s’il avait l’éternité devant soi, et, l’œuvre terminée, ces pieux travailleurs n’inscrivent pas même leurs noms sur les volumes dans lesquels ils ont entassé tant de veilles et tant de science. Ils laissent à leur mystique famille le mérite et l’honneur du travail, et signent tous des mêmes mots : les moines de l’ordre de Saint-Benoît.

Mabillon avait cinquante-trois ans lorsqu’il partit pour l’Italie. Né le 23 novembre 1632, à Saint-Pierremont, village du diocèse de Reims, il étudia dans cette ville, prit la tonsure à l’âge de dix-neuf ans, et, en 1658, il fut envoyé à l’abbaye de Corbie pour y occuper la charge de portier et de cellerier, c’est-à-dire de distributeur des aumônes. Tout en remplissant ces humbles fonctions,