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aux jeunes générations qui prirent part à la lutte vers 1820, époque où lui-même, fort jeune encore, commençait déjà à se faire connaître. Il y distingue les esprits plus spécialement philosophiques qui formaient une école, et les esprits purement pratiques qui formaient un parti. A la tête de la philosophie militante et confinant à la politique, il place l’auteur des écrits célèbres intitulés : Comment les dogmes finissent, de la Sorbonne et des Philosophes, de l’État de l’Humanité, M. Jouffroy. La seconde classe, à la tête de laquelle il place M. Thiers, se composait « d’esprits étendus, dit-il, mais positifs, ardens, mais pratiques, et qui suppléaient à l’imagination inventive par l’élévation des facultés usuelles à leur plus haute puissance ; la politique et l’histoire étaient de toutes les choses intellectuelles celles qui leur allaient le mieux. » Ils n’avaient pas, comme les philosophes, cherché dans l’analyse de la nature humaine le fondement des principes qui étaient les croyances sociales de cette époque ; ils ne mêlaient pas comme eux les hautes vues de la morale et de la philosophie de l’histoire à leurs opinions. Ces opinions, ils les avaient respirées avec l’air natal : « ils étaient, par leurs passions, les représentans naturels de cette démocratie impétueuse qui s’était tant égarée ; mais, par la droiture de leur intelligence, ils pouvaient en devenir les modérateurs. Un bon sens supérieur maîtrisait tout en eux, et les systèmes et les passions. » Il y avait une troisième classe d’écrivains à la tête desquels nous placerons, nous, M. de Rémusat, esprits intermédiaires, si je puis dire ainsi, plus théoriques que les seconds, qui se piquaient assez peu de l’être, et qui voyaient surtout dans la révolution un fait triomphant, beaucoup plus pratiques que les premiers, pour qui la colère contre un gouvernement inintelligent, aveugle, qui ne savait pas, qui ne voulait pas voir dans le fait de 89 un droit, un progrès, un décret de l’histoire, un arrêt de Dieu, était une colère de principes, une colère de l’intelligence encore plus qu’un ressentiment politique. Esprit ouvert à toutes les hautes généralités, nourri au sein de ce loisir qui permet à l’esprit de se cultiver librement, de ces conversations, de ces lectures philosophiques et politiques qui l’empêchent de s’engourdir, indépendant de position, lié avec les hommes de la révolution et les hommes de l’empire, ayant reçu par là la tradition de la liberté et celle du pouvoir, enfin mêlant la connaissance des partis, la passion politique à l’étude désintéressée et profonde de la philosophie, M. de Rémusat, par les qualités souples et variées de l’intelligence (et aussi sans doute par les qualités sympathiques du caractère), devint le conciliateur des purs méditatifs et des hommes exclusivement pratiques.

Il suffit de dire qu’il était également l’ami de M. Jouffroy et de M. Thiers, lesquels, entre eux, ne se rapprochèrent jamais et dont il