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me semble, à ajouter ; il épuise toute la richesse des tons ; cet imprévu, cette vivacité d’impressions, cette humeur brusque, impétueuse, impérieuse parfois, unie à la bonté du cœur, cette sensibilité si mêlée à la raison, et qui donnait au sens commun chez celui qu’elle dominait un air d’originalité et presque de paradoxe, ce charme varié et imposant, ce mouvement d’idées généralement vraies, sensées, profondes, et que la forme rendait singulières, excessives, téméraires, tous ces traits ont rendu vivante cette image si franche et si fine, si pleine de relief dans la diversité infinie des nuances. M. de Rémusat a caractérisé avec force chez l’écrivain l’élévation, la grace, le soin religieux de l’élégance. Lecteur assidu de Platon, de Tacite et de Mme de Sévigné, M. Royer-Collard avait gardé quelque chose de ces influences heureusement combinées, ou plutôt il avait fortifié des qualités qui lui étaient naturelles dans le commerce de ces grands maîtres. Le récipiendaire a mieux fait que de célébrer ces mérites ; son discours en offre un remarquable mélange. C’était encore une digne manière de louer M. Royer-Collard.

Ces qualités d’un langage qui unit le charme à la noblesse soutenue n’ont point été, au reste, une surprise pour le public, qui n’avait pas besoin, comme il arrive parfois, de la séance académique pour faire connaissance avec l’écrivain élu. On n’attendait pas moins du fond des idées. M. de Rémusat, philosophe et homme politique, succédant à un personnage qui doit son illustration à la politique et à la philosophie ; M. de Rémusat disciple, mais disciple indépendant et original de celui dont il venait occuper la place, était, personne ne peut le nier, dans des conditions exceptionnelles pour parler avec connaissance de cause de M. Royer-Collard. Il avait assez gardé de sa tradition pour le louer avec ame ; il s’en séparait assez pour le juger en le louant.

« Il n’y a plus de divorce entre les idées et les affaires, » a dit M. de Rémusat. Cette pensée pourrait servir d’épigraphe à tout son discours comme à la vie qu’il retrace. L’alliance de la théorie et de la pratique, la nécessité d’admettre en une certaine mesure la philosophie au gouvernement des sociétés, c’est-à-dire de soumettre davantage les expédions de la raison qui agit aux vues supérieures de la raison qui pense, voilà l’idée dont il a cherché dans l’existence de M. Royer-Collard comme le vivant commentaire : cette idée peut servir aussi à caractériser M. de Rémusat, c’est celle qui domine chez l’homme et chez l’écrivain. Sans prétendre l’apprécier ici complètement, nous ne pouvons le quitter sans en dire du moins quelques mots.

M. de Rémusat, dans un bien remarquable article sur Jouffroy, inséré dans cette Revue[1], a pour ainsi dire classé les différeras esprits appartenant

  1. Voyez la livraison du 1er août 1844.